Axel Broni, Les perspectives de la sécurité humaine, Pour une prévention efficace des causes des déplacements forcés de populations en Afrique
Les perspectives de la sécurité humaine
Pour une prévention efficace des causes des déplacements forcés de populations en Afrique
BRONI Fulgence Axel, Docteur en droit public, Université de Poitiers
« Quand la sécurité met l’accent sur la capacité des individus à vivre plutôt que sur celle des États à exister, alors l’attention se tourne sans aucun doute et de manière satisfaisante sur ceux qui sont les plus vulnérables »[1]. Partant de cette suggestion de Taylor Owen, on observe que l’impact de la sécurité humaine est donc clair. Et il est évident que les déplacements forcés de populations[2] font partie intégrante des préoccupations lorsque l’on parle de sécurité humaine, dans la mesure où parmi les plus vulnérables on retrouve des potentiels réfugiés et personnes déplacées susceptibles de fuir leur pays ou leur lieu de résidence habituelle.
Comme le rappelle le Secrétaire général des Nations unies dans son rapport sur la sécurité humaine du 5 avril 2012, « […] La notion de sécurité humaine met en avant la primauté et l’universalité d’une série de libertés qui sont fondamentales pour la vie humaine, et cela sans opérer une quelconque distinction entre droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels et permet donc de concevoir des interventions multidimensionnelles intégrées face aux menaces qui pèsent sur la survie, les moyens de subsistance et la dignité des personnes. Elle intègre par conséquent le fait que la paix, le développement et les droits de l’homme nécessitent une approche globale tenant compte des liens réciproques et des relations triangulaires existants entre sécurité, développement et droits de l’homme »[3]. En tant que telle, la sécurité humaine vise donc à protéger doublement les individus de la peur et du besoin, afin de garantir leur dignité humaine. C’est dans ce sens que la freedom from fear renforce et encadre la gestion des civils victimes des conflits et la freedom from want s’intéresse plus aux carences de la vie quotidienne, telles celles liées à la santé, l’environnement, la nourriture, l’emploi, la communauté ou encore les droits politiques. Cette nouvelle philosophie de la sécurité est clairement définie aussi bien dans les deux derniers rapports de l’Assemblée générale des Nations unies sur la suite donnée à la notion de sécurité humaine, que dans sa toute récente résolution portant sur cette question[4].
Une telle approche de la sécurité oblige à revoir la totalité de la protection de la personne telle qu’elle existe aujourd’hui au niveau international et pousse à la reconnaissance de l’individu comme sujet de droit international[5]. En se proposant de repenser le concept de sécurité dans son rapport à l’humain et non à l’État, la sécurité humaine met en avant une approche et une méthodologie nouvelles qui dépassent et mettent à mal la logique westphalienne qui ordonne, structure et détermine le fonctionnement du système des relations internationales contemporaines[6]. Elle offre des outils nouveaux et génère des changements considérables dans la pratique internationale contemporaine, pour prévenir, guérir et supprimer les menaces sur la sécurité, telles les causes génératrices des déplacements forcés.
S’engouffrant dans cette brèche ainsi ouverte par le droit international, les institutions africaines avec l’appui des Nations unies entendent articuler la nouvelle dimension de la sécurité appliquée aux réalités afro-subsahariennes du déracinement dans le prolongement de la sécurité humaine. Dans ce sens, l’Union africaine constitue, sans nul doute, l’une des organisations internationales qui se seraient fortement engagées en faveur de la sécurité humaine. Selon la définition retenue par l’article 1er du Pacte de non-agression et de défense commune de l’Union africaine adoptée par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union lors de sa 4e session ordinaire tenue le 31 janvier 2005 à Abuja, « la sécurité humaine signifie la sécurité de l’individu eu égard à la satisfaction de ses besoins fondamentaux. Elle comprend également la création des conditions sociales, économiques, politiques, environnementales et culturelles nécessaires à la survie et à la dignité de l’individu, y compris la protection et le respect des droits humains, la bonne gouvernance et la garantie à chaque individu des opportunités et des choix de son plein épanouissement »[7].
Prescrivant l’action concertée, cette acception élargie de la sécurité humaine englobe ainsi les interventions humanitaires, le maintien de la paix, la consolidation de la paix post-conflits, ainsi que des mécanismes de prévention des conflits. L’opérationnalisation contemporaine de toutes ces composantes interdépendantes de la sécurité humaine tant par les institutions africaines que par les instances des Nations unies peut servir d’outil efficace à la prévention des déplacements forcés en Afrique, en agissant d’abord en amont sur les causes génératrices des situations de déracinement (I). Pour être complète, cette action dans le domaine de la prévention des causes des déplacements forcés doit en outre nécessairement s’accompagner en aval d’une dimension de reconstruction des États en transition post-conflit (II). C’est uniquement sous ce double prisme que les perspectives à la mise en œuvre de la sécurité humaine pourront contribuer à enrayer de façon durable le phénomène du déracinement forcé en Afrique subsaharienne.
I. La traque aux causes induisant les déplacements forcés de population en Afrique
Si, pendant longtemps, ce sont les notions de « réaction » ou de « gestion » qui semblaient définir la posture politique et analytique la plus « appropriée » en matière de crises politiques et humanitaires, il est devenu aujourd’hui plus commode de se référer à la notion de « prévention » et de lui accorder une importance primordiale.
La nouvelle stratégie de traitement de la question des déplacements forcés de population en Afrique participe de cette logique en faisant de la prévention un de ses axes prioritaires. Il s’agit par ce moyen de s’arrêter non plus uniquement à la lutte contre les manifestations de la crise, mais de s’attaquer au mal par la destruction de ses racines, comme c’est le cas dans le domaine bien connu de la médecine. Cette démarche qui s’inscrit dans une logique de sécurité humaine conduit à envisager la prévention des déplacements forcés en agissant d’abord sur leurs causes immédiates par la prévention des conflits (§ 1). Le second volet de la prévention doit s’articuler ensuite autour de la traque aux causes profondes ou sous‑jacentes des déplacements forcés de populations (§ 2).
§ 1. L’action au niveau des causes immédiates des déplacements forcés par la prévention des conflits
C’est un truisme d’affirmer que les conflits armés internes constituent la cause principale et immédiate de la crise des réfugiés et des personnes déplacées en Afrique. Ce diagnostic[8], qui ne souffre d’aucune contestation en appelle à des mesures énergiques de prévention des conflits dans la lutte contre les déplacements forcés en Afrique subsaharienne. L’objet de cette présente étude n’est pas de procéder à une analyse détaillée des modalités de prévention des conflits, domaine qui a déjà été amplement traité par de nombreux autres auteurs. Mais s’agissant de la prévention efficace des causes immédiates des déplacements forcés en Afrique, il est urgent et nécessaire d’améliorer les mécanismes existants de prévention des conflits aussi bien au plan conceptuel qu’opérationnel (pour assurer une efficacité optimale de leur utilisation). Parmi ces mesures de prévention des conflits, il convient de distinguer la diplomatie préventive initiée dans le cadre de l’ONU (A), de celle pratiquée à l’échelon continental africain (B).
A. L’apport de la diplomatie préventive onusienne à la prévention des causes immédiates des déplacements forcés en Afrique
Aujourd’hui, l’idée d’une prévention des conflits armés s’impose comme une nécessité, notamment en Afrique. La communauté internationale semble avoir acquis la conviction et la preuve qu’il vaut mieux prévenir les conflits que d’essayer d’y mettre fin ou d’en atténuer les manifestations. Cela est d’autant plus vrai qu’il est maintenant établi que la simple gestion des crises humanitaires comporte un coût considérablement plus élevé que la prévention de ces crises[9]. Il existe donc de bonnes raisons d’accorder à la prévention une importance primordiale dans la prise en charge des conflits pour parer à leurs conséquences notamment en termes de déplacements forcés de population.
L’orientation vers la prévention est importante au sein des Nations unies, si l’organisation compte encore jouer un rôle dans le maintien de la paix et redorer son blason quelque peu terni par la sélectivité de ses actions dans les situations de crise. C’est compte tenu de cela que le Secrétaire général de l’organisation a émis l’idée de faire de la prévention des conflits, la pierre angulaire du système de sécurité collective des Nations unies en ce XXIe siècle[10].
La culture de prévention peut être considérée comme un mode d’action qui sera omniprésent dans la stratégie des conflits et qui consistera à détecter, aussitôt que possible, toute menace à la paix et à la sécurité internationales et à prendre des mesures adéquates afin d’empêcher tout recours aux armes. Au nombre des mécanismes développés par l’ONU en matière de prévention des conflits armés, il convient de s’intéresser au plus ancien d’entre eux, en l’occurrence la diplomatie préventive[11]. Appliquée de façon exhaustive, opportune et décisive, la diplomatie préventive peut apparaître comme l’une des formes les plus efficaces de protection des populations susceptibles de devenir des réfugiés ou personnes déplacées internes. Sa mise en œuvre (2) suppose que soient obtenues à temps utiles, des informations sur les risques de conflits (1).
À la base de la prévention, se trouve l’information. Mais sa collecte (A) n’est pas une fin en soi. Elle doit se fonder sur le souci majeur d’alerter rapidement la communauté internationale (B).
Cette collecte d’informations consiste en un regroupement d’une masse de données. Ces dernières doivent porter aussi bien sur les tendances économiques et sociales que sur les évènements politiques pouvant susciter de dangereuses tensions[12]. C’est pour satisfaire à la recommandation du Conseil de sécurité de donner la priorité aux activités préventives que le Département des Affaires Politiques (DPA) a été mis en place au sein du Secrétariat. La collecte d’informations est aujourd’hui sa fonction principale. Il est organisé de manière à « […] suivre l’évolution politique dans le monde, pour pouvoir repérer très tôt les risques de conflits et analyser les possibilités d’actions préventives »[13].
Le DPA témoigne du consensus autour de l’idée que c’est au Secrétaire général qu’il incombe la direction principale de la diplomatie préventive et de la collecte d’informations sur les conflits naissants et à venir. Une politique préventive suppose, en effet, que l’on dispose à temps d’une information fiable pour avoir une vue d’ensemble sur les situations porteuses de conflits. Les informations proviennent pour la plupart de divers organismes des Nations unies, des autres organisations internationales et des canaux de renseignement des États membres — avec les réserves nécessaires quant à leur fiabilité ou leur sélectivité[14].
Il convient de remarquer ici qu’aucune collaboration avec des organismes non gouvernementaux n’est explicitement prévue[15] afin d’obtenir un son de cloche autre que celui émis officiellement. Pourtant, comme le relève la Commission Carnegie « Les ONG sont souvent les premières à savoir ce qui se passe dans les zones de crises et à agir, et disposent souvent d’une montagne d’informations sur les circonstances et les griefs donnant lieu à une explosion de violence »[16]. Dans ces conditions, l’idéal serait alors de croiser les informations de diverses sources, qu’elles soient gouvernementales ou non, en vue d’une meilleure prévention.
Une fois collectées, les informations sont analysées au sein d’un dispositif d’alerte rapide.
Le système d’alerte rapide permet un véritable travail de synthèse des données pertinentes afin d’aboutir à un tableau d’indicateurs qui, tels les feux de signalisation, passeraient à l’orange en cas de menace pour la paix et la sécurité internationales[17]. C’est une sorte d’intégration des informations au sein d’une procédure opérationnelle permettant à la fois d’isoler des indicateurs précis, de déterminer un seuil à partir duquel un conflit est imminent, de préparer un plan d’action réaliste et, enfin, d’aboutir à la saisine d’un organe de décision[18].
Le dispositif d’alerte rapide est au cœur de la diplomatie préventive. C’est un véritable moyen de veille au service de la prévention des conflits. L’alerte peut être précoce ou ultime. Elle est précoce lorsqu’elle est déclenchée au tout premier stade d’un conflit c’est‑à-dire dès les premiers bouleversements annonciateurs d’un conflit potentiel. Elle est ultime lorsque l’éclatement du conflit est imminent. Il est toujours préférable de déclencher l’alerte de manière précoce[19].
L’intérêt accordé à la prévention étant récent au sein de la communauté internationale, il convient de remarquer que l’ONU ne dispose pas encore d’une capacité globale d’alerte rapide en matière de prévention des conflits armés[20]. À ce titre, la création d’un Centre d’alerte rapide est donc à encourager au sein du Secrétariat général des Nations unies[21].
Par ailleurs, l’alerte rapide doit nécessairement déboucher sur une action tout aussi prompte. La Commission Carnegie l’a si bien soulignée lorsqu’elle indique que : « La prévention des conflits meurtriers est moins une question d’alerte précoce que de réaction précoce »[22]. Malheureusement, l’ONU ne dispose pas non plus d’un mécanisme d’action rapide ; ce qui compromet l’efficacité de l’alerte rapide. Il est essentiel d’intervenir à temps pour réussir la prévention.
En pratique, l’alerte rapide conduit à la mise en œuvre de mesures permettant d’éliminer ou de juguler les risques de conflits armés et partant, les situations potentielles de déplacements forcés.
La mise en œuvre de la diplomatie préventive consiste en une utilisation, avec le consentement des acteurs intéressés, d’un ensemble de procédés politico-diplomatiques (a) et parfois opérationnels (b). Pour être en adéquation avec l’objectif de sécurité humaine recherché dans la prévention des causes immédiates des déplacements forcés, la caractéristique essentielle et commune à tous ces procédés politico-diplomatiques et opérationnels est qu’ils doivent viser — même lorsque les acteurs concernés sont réticents à coopérer — à écarter absolument toute nécessité de recourir à des mesures directement coercitives à l’encontre desdits acteurs[23].
L’expression « diplomatie préventive » est une association de deux concepts qui font respectivement allusion à une méthode (diplomatie) et à un objectif (prévenir). C’est en en quelque sorte l’art de la négociation politique mis au service de la prévention. Les mesures diplomatiques fréquemment utilisées dans la mise en œuvre de la prévention des conflits sont la médiation et l’enquête.
En fait de médiation, c’est le Secrétaire général qui joue un rôle prépondérant. En cas de crise, il peut conduire en personne une mission de bons offices ou désigner un Représentant spécial qui agira en son nom. De par la discrétion exigée, il s’agit la plupart du temps d’actions peu médiatisées et donc peu ou pas connues du public. À côté de cette médiation d’urgence, le Secrétaire général agit constamment auprès des États. Cette diplomatie préventive prend souvent les formes les plus discrètes, pour ne pas dire les plus secrètes[24]. C’est d’ailleurs cette discrétion qui assure son plein succès. Raison pour laquelle l’ancien Secrétaire général U Thant affirmait qu’« une mission parfaite de bons offices, est celle qui n’est pas ébruitée avant son succès et qui n’est peut-être même jamais dévoilée »[25].
Quant aux missions d’enquête, celles-ci constituent une procédure encouragée par l’AG et le Conseil de sécurité dans le cadre de la diplomatie préventive. Elles permettent d’exposer objectivement les intérêts des parties à un conflit potentiel dans le but de définir les mesures que l’ONU pourrait prendre pour les aider à aplanir leurs divergences ou régler leurs différends. Ainsi, le Secrétaire général a envoyé une telle mission en Gambie en novembre 2000 « … afin d’étudier avec ses interlocuteurs gambiens la possibilité pour l’ONU d’aider concrètement le pays à surmonter les multiples difficultés auxquelles il se heurte en vue de prévenir les menaces contre la paix et la sécurité »[26]. Une seconde mission d’envergure a été dépêchée en mars 2001 dans onze pays d’Afrique de l’Ouest « […] pour faire le bilan des besoins et problèmes prioritaires de la région dans les domaines de la paix et de la sécurité, de la coopération régionale, des affaires humanitaires et du développement économique et social, et examiner leur interdépendance »[27].
À côté de ces missions d’enquête diligentées dans le cadre des Nations unies, les procédures de mise en alerte et d’établissement des faits peuvent avoir pour vertu essentielle de caractériser et d’évaluer la juste teneur d’un manquement étatique ou non‑étatique à l’obligation de protection des populations civiles. Dans ce sens, les ONG mais également le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme[28] peuvent jouer ici un rôle fondamental dans l’alerte, la médiatisation, l’enquête sur le terrain et l’établissement des faits, permettant d’envisager par la suite, la mise en œuvre de mesures de prévention plus opérationnelles.
Pour autant, ces mesures opérationnelles plus directes doivent exclure l’emploi de la force armée, à l’exception du déploiement préventif consensuel comme nous le verrons dans les pages à venir.
Les mesures opérationnelles participent de l’extension de la notion de diplomatie préventive. Elles sont très exceptionnelles et essentiellement relatives aux nouveaux conflits : conflits internes, risque de sécession ou conflits ethniques[29]. Nous pouvons tenter d’identifier trois principalement[30], à savoir : les mesures de prévention d’ordre politique et économique, les mesures de prévention à caractère juridique, ainsi que les possibilités de prévention à caractère militaire à travers le déploiement préventif consensuel.
Les mesures de prévention d’ordre politique et économique surviennent généralement en cas d’échec des initiatives politico-diplomatiques citées plus haut. Elles peuvent aller jusqu’à la menace de sanctions politiques, l’isolement diplomatique, ou encore la suspension de la participation aux travaux de certaines organisations. Au niveau économique, ces mesures de prévention opérationnelle peuvent comporter les restrictions frappant les déplacements ou les avoirs de certaines personnes, mais aussi la menace de rupture des investissements et des aides potentiellement gérées par le Fonds monétaire international et par la Banque mondiale, en vue d’enjoindre les acteurs concernés à se conformer rapidement à leurs obligations. Cela, sous peine d’un isolement imminent et d’un recours éventuel au Conseil de sécurité de l’ONU, qui pourra, en l’absence d’une réaction suffisante des acteurs impliqués, prendre les mesures de sanction non armées prévues à l’article 40 de la Charte, après avoir pris soin de qualifier la situation de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d’agression, sur le fondement de l’article 39. Si en théorie, l’éventualité du recours au Conseil de sécurité reste envisageable, en pratique, la relative lenteur dans la mise en œuvre de cette procédure et la composition même du Conseil restreint — plaçant l’hypothèse du veto d’un des cinq membres permanents au centre du processus décisionnel — tendent à hypothéquer l’efficacité de ce type de réaction multilatérale[31].
Dans le sillage des mesures de prévention d’ordre politique et économique, il est possible de recourir aussi à toute une gamme de mesures préventives à caractère plus juridique. En premier lieu, il convient de mentionner que la menace d’adoption ou d’application effective de sanctions juridiques internationales est devenue ces dernières années un nouvel élément important de la panoplie des outils de prévention internationale. Ainsi, depuis son entrée en fonction le 1er juillet 2002, l’implication avérée de la Cour pénale internationale dans la poursuite d’un large éventail de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre reconnus[32], peut amener les éventuels auteurs de ces crimes à réfléchir davantage aux risques de sanctions internationales qu’ils courent.
En second lieu, il convient d’explorer l’hypothèse qui tient au recours à des procédures individuelles (plainte ou pétition) dirigées devant des organes juridictionnels ou non juridictionnels, en vue d’obtenir une condamnation de l’État auteur des manquements au respect des droits de l’homme[33]. Dans cette perspective, des recours dirigés devant les juges régionaux des droits de l’homme (tels que ceux de la future Cour africaine de justice et des droits de l’homme)[34], devant les Comités de suivi des Conventions de l’ONU[35] ou encore, devant l’ancienne Commission des droits de l’homme de l’AGNU[36] (notamment à travers la possibilité de communication individuelle ouverte par la procédure de la résolution 1503 du Conseil économique et social, ECOSOC)[37] peuvent constituer des mécanismes préventifs efficaces permettant d’obtenir une condamnation rapide des États, préalablement à la violation massive des droits individuels.
Enfin des mesures de prévention à caractère militaire peuvent être envisagées par l’intermédiaire d’opérations onusiennes générales de paix. Celles-ci peuvent prendre la forme d’opérations de reconnaissance à distance, et en particulier, d’un déploiement préventif consensuel. Ce déploiement préventif consensuel consiste dans l’envoi de Casques bleus sur un territoire hors conflit dans le but d’éviter l’embrasement et l’implication d’autres pays ou régions périphériques dans un conflit existant. L’opération n’est donc pas déployée pour maintenir la paix au sens le plus strict du terme, mais pour prévenir des menaces imminentes. Dans l’histoire de l’ONU, il n’existe à ce jour qu’un seul exemple avéré et réussi de déploiement à titre préventif. C’est le cas de la Force de Déploiement Préventif des Nations unies en Macédoine (FORDEPRENU)[38]. Toutefois, cette hypothèse, qui n’a pas été renouvelée depuis lors, s’avère largement conditionnée par les limites, déjà exposées, tenant à la composition même du Conseil de sécurité. De plus, la rareté actuelle des déploiements préventifs (comme modalité de diplomatie préventive) tient entre autres au fait que la plupart des États, déjà réticents à envoyer des troupes lorsqu’un conflit ravage un pays, hésitent encore plus lorsque ce conflit n’a pas encore éclaté. En dépit de ces limites, il n’en demeure pas moins qu’à tous les égards, le préventif reste beaucoup moins coûteux que le curatif, comme en témoigne l’étude de la Commission Carnegie pour la prévention des conflits citée plus haut[39].
En tout état de cause, dans le contexte de la prévention des causes immédiates des déplacements forcés en Afrique, il est souhaitable que ces mesures opérationnelles de prévention des conflits au niveau de l’ONU soient complétées par la diplomatie préventive africaine afin que celles-ci n’apparaissent pas comme imposées de l’extérieur.
B. La diplomatie préventive africaine au service de la prévention des causes immédiates des déplacements forcés
Bien que les circonstances et les contextes puissent varier, les situations conduisant au déplacement forcé en Afrique ont tendance à suivre en général des modes similaires. Dans chaque cas, les tensions découlant des conflits politiques, ethniques et religieux non résolus ou litiges liés à la propriété foncière entraînent des abus des droits de l’homme, qui prennent alors un caractère violent. Laissées en suspens, ces situations se transforment en conflits armés avec pour conséquence la fuite des populations de leurs domiciles et, dans certains cas, leurs pays, en quête de protection. À ce niveau, la situation deviendrait beaucoup plus complexe pour anticiper la souffrance généralisée et bien plus difficile pour protéger et aider les populations et trouver des solutions durables. Tout comme pour la diplomatie préventive initiée dans le cadre du système des Nations unies, l’alerte rapide, le contrôle, la collecte et l’analyse de données peuvent également être utiles dans le cadre de la diplomatie préventive africaine pour prévenir les causes immédiates des déplacements forcés de population (1), à condition qu’elles s’accompagnent de mesures rapides et vigoureuses visant à contenir ou à résoudre une crise émergente (2).
Ces mécanismes découlent de la nouvelle Architecture africaine de la paix mise en place dans le cadre du nouveau mandat de l’UA à prévenir et répondre aux conflits[40]. Ils concernent le Système continental d’alerte rapide (SCAR) (a) et les mécanismes régionaux d’alerte rapide (b).
Contrairement au système des Nations unies, le continent africain s’est doté d’un Système continental d’alerte rapide (SCAR) pour faciliter la prévision et la prévention des conflits en Afrique. Conformément à l’article 12 du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA qui l’institue, le SCAR se compose d’un centre d’observation et de contrôle dénommé « Salle de veille » situé à la Direction de la gestion des conflits de l’Union. Ce centre est mis en place pour la collecte et l’analyse des données sur la base d’un module approprié d’indicateurs, ainsi que des unités d’observation et de contrôle des mécanismes régionaux de prévention, de gestion et de règlement des conflits « directement liés » par des moyens de communication adaptés à la Salle de veille[41].
Pour analyser les évènements et recommander les mesures idoines à prendre, le SCAR « élabore un module d’alerte rapide sur la base d’indicateurs politiques, économiques, sociaux, militaires et humanitaires clairement définis et acceptés »[42]. En outre, en vue de faciliter le fonctionnement efficace du SCAR, aux termes de l’article 12 (3) du Protocole relatif au CPS, il est demandé à la Commission de l’UA de « collaborer avec les Nations unies, leurs agences et d’autres organisations internationales compétentes, les centres de recherches, les institutions universitaires et les ONG ». Également, c’est au Président de la Commission de l’UA qu’il appartient le rôle d’élaborer « […] les détails pratiques liés à la mise en place du Système d’alerte rapide et [de prendre] toutes les mesures nécessaires pour son fonctionnement efficace […] »[43]. Le SCAR a donc pour objectif de disposer d’un avis opportun sur les conflits potentiels et les menaces à la paix et à la sécurité en vue de permettre l’élaboration de stratégies de réponses appropriées pour les principaux utilisateurs au sein de l’UA que sont : le Président de la Commission, le CPS et d’autres départements de la Commission[44].
En ce qui concerne les sources d’information, le SCAR est considéré comme un système de source ouverte où l’information est recueillie de sources différentes, notamment, d’acteurs gouvernementaux et intergouvernementaux, d’organisations internationales et non gouvernementales, des médias, du monde universitaire et de groupes d’intellectuels. Alors que les sources principales de données englobent celles générées par l’UA elle-même (Commission, Missions à l’extérieur et Bureaux de liaison de l’UA), ainsi que celles générées au niveau des CER/MR[45] et des États membres ou en collaboration avec les Nations unies et leurs agences, d’autres organisations internationales concernées, des centres de recherche, institutions universitaires et ONG sont clairement mentionnés par le Protocole relatif au CPS de l’UA. Pour ainsi dire, le Protocole relatif au CPS exhorte la Commission de l’UA à se charger de cette collaboration en vue de faciliter un fonctionnement efficient du SCAR dans son ensemble.
À côté du Système continental d’alerte rapide institué par le CPS à l’échelon panafricain, les Communautés économiques régionales (CER) ont également pris des dispositions en vue de mettre en place leur propre système d’alerte rapide. On ne s’intéressera ici qu’aux CER qui à ce jour disposent de mécanismes d’alerte rapide opérationnels[46].
- Les mécanismes régionaux d’alerte rapide : les cas du CEWARN pour l’IGAD et de l’ECOWARN dans le cadre de la CEDEAO
Dans le cadre sous-régional, deux CER en particulier ont déjà établi des systèmes d’alerte rapide opérationnels pour prévenir et anticiper les conflits susceptibles de générer des situations de déplacements forcés de population. Il s’agit du CEWARN[47] pour l’Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est (IGAD) et l’ECOWARN[48] dans le cadre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
S’agissant de l’IGAD[49], dans chacun de ses États membres, le CEWARN a désigné certaines institutions pour agir comme des Instituts nationaux de Recherche (INR) et travaille avec elles en tant qu’organisations partenaires. Chaque INR dispose d’un coordinateur de pays CEWARN, appuyé par un assistant chargé de l’organisation et la supervision du suivi sur le terrain requis, la coordination de l’information et de la collecte des données, ainsi que l’analyse des données et la soumission des rapports d’alerte rapide. L’Unité CEWARN d’Addis-Abeba est le centre régional de collecte de données, d’analyses de conflit, d’échange d’informations, et de communication des options de réponse. Elle appuie les partenaires du CEWARN dans le cadre du renforcement des capacités (y compris la formation), coordonne les différents organes du CEWARN, soutient le développement de structures de coopération régionale et constitue la force motrice du processus politique qui sous-tend le mécanisme. Le bureau du CEWARN a commencé son travail en 2002 et les données sur le terrain ont été collectées de manière continue et analysées depuis le second semestre de 2003.
Au plan national, le Mécanisme CEWARN s’appuie sur l’alerte rapide des conflits et les Unités de Réponses rapides (CEWERU) des unités de coordination focales intégrées pour fonctionner au sein des ministères compétents des États membres de l’IGAD. Ces unités sont dirigées et gérées par les chefs de CEWERU nommés par les États membres eux-mêmes. Chaque CEWERU a pour mandat de mettre sur pied un comité pilote composé des représentants des ministères compétents, des organes de sécurité comme la police, des services de renseignements, des organes législatifs, des organisations de la société civile, des universités, des organisations religieuses ou d’autres membres influents des sociétés. Regroupant les décideurs gouvernementaux et les représentants de la société civile, les CEWERU sont les organes responsables des initiatives de réponse au niveau de pays devant être mise en œuvre en étroite collaboration avec les comités locaux ou les Conseils sous- régionaux pour la paix. Le CEWARN dispose d’un outil de collecte et d’analyse d’informations connues sous le nom de CEWARN Reporter, utilisé pour coder, mettre en graphique et analyser des données. Les tâches du CEWARN comprennent la collecte de données et la production de rapports qui sont finalement discutés par les États membres. À partir des données sur le terrain, le CEWARN produit deux types de rapports, à savoir : des rapports d’incidents (des conflits pastoraux violents et connexes soumis dès qu’ils surviennent) et des rapports de situation (générale, culturelle, sociale, économique et politique des zones ciblées) soumis par semaine[50]. Le CEWARN produit, trois fois par an, des mises à jour de pays à partir des rapports de situations et d’incidents. Les rapports font des recommandations pour les réponses à envisager.
Pour ce qui concerne la CEDEAO, son système d’observation pour la sécurité et la paix a été établi conformément à l’article 58 du Traité révisé du 24 juillet 1993 et au Protocole relatif au Mécanisme pour la prévention, la gestion, le règlement, le maintien de la paix et de la sécurité, adopté en 1999[51]. Il repose sur trois principales institutions : la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement qui travaille en collaboration avec le Conseil de médiation et de sécurité, le Secrétariat exécutif et le Secrétariat exécutif adjoint. Le Centre d’observation et de suivi (COS) basé au Secrétariat de la CEDEAO, à Abuja (Nigeria), couvre un territoire découpé en zones et comprend une cellule d’observation ou d’alerte rapide. Institué conformément à l’article 58 du Traité révisé, le Centre d’observation et de suivi travaille avec quatre zones d’observation créées à cet effet. Il a pour fonction d’analyser les facteurs pouvant affecter la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest, en fournissant des informations journalières. La zone 1 (dont le centre stratégique est Banjul) inclut le Cap‑Vert, la Gambie, la Guinée Bissau et le Sénégal ; la zone 2 (dont le centre stratégique est Ouagadougou) couvre le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Niger ; la zone 3 (dont le centre stratégique est Monrovia) englobe le Ghana, la Guinée, le Libéria et la Sierra Léone et la zone 4 (dont le centre stratégique est à Cotonou) comprend le Bénin, le Nigéria et le Togo[52].
Chaque zone, placée sous l’autorité du Secrétaire exécutif, collecte toutes les informations utiles concernant la sous-région en matière de paix et de sécurité à partir des points focaux, et ce de façon quotidienne à travers les contacts des autorités gouvernementales, les communautés locales, des médias publics et d’autres agences d’informations des zones. Les données ainsi collectées sont rassemblées, traitées dans chaque État au jour le jour sur la base de 94 indicateurs susceptibles d’affecter la paix et la sécurité de la zone et de la sous‑région ; un rapport est élaboré puis communiqué au Centre d’observation et de suivi qui les enregistre, les analyse, traite tous les signes de dégradation, qu’ils soient inter ou infra‑étatiques. Pour ce faire, chaque bureau de zone est directement relié par des moyens appropriés au Centre d’observation et de suivi[53].
Un renforcement des relations fonctionnelles entre l’ECOWARN de la CEDEAO et les organisations de la société civile a été mis en œuvre afin de rendre ce système plus opérationnel. Ce renforcement a été effectué grâce à la mise en place d’un bureau de liaison qui assure l’interface sur des questions d’intérêt commun avec le WANEP (Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix)[54], le partenaire de la CEDEAO dans l’opérationnalisation de l’alerte précoce et l’intervention rapide en Afrique de l’Ouest. Il a également été décidé d’institutionnaliser et d’appuyer le FOSCAO (Forum de la société civile d’Afrique de l’Ouest) devenu pour ainsi dire, le point focal de la société civile au sein du Secrétariat exécutif et dont la tâche est d’harmoniser et de coordonner toute initiative de la société civile[55].
En somme, l’ECOWARN et le WANEP s’appuient sur les services des points focaux gouvernementaux et non gouvernementaux dans les États membres dont la tâche est d’entrer des données dans le système d’alerte rapide. À l’instar du CEWARN, l’ECOWARN, constitue un bon exemple de système d’alerte rapide guidé par des données pratiques de terrain. Ces deux systèmes d’alerte rapide et de réponse précoce de l’IGAD et de la CEDEAO sont chacun conçus et fonctionnent selon leurs régions, leurs spécifications, ainsi que leurs exigences. Ensemble, ces deux CER disposent de données sur le terrain systématiquement spécifiées, collectées et analysées dans leurs régions respectives pour plus de cinq ans[56]. Ce qui offre un capital d’expérience très enrichissante qui a été utilement exploité par le SCAR au niveau continental, dans la conception de son cadre. En fait, une interaction significative et une certaine coopération entre les trois mécanismes sont intervenues depuis le début de leurs opérations. Cette opération a produit un ensemble convenable de systèmes qui peuvent informer et guider l’interopérabilité des systèmes d’alerte rapide à l’échelle continentale.
En tout état de cause, ces mécanismes d’alerte rapide, de contrôle, de collecte et d’analyse de données peuvent être utiles dans le cadre de la diplomatie préventive africaine, à condition qu’elles s’accompagnent de mesures rapides et vigoureuses visant à contenir ou à résoudre une crise émergente susceptible de donner lieu à des déplacements forcés de population.
Tout comme dans le cadre de la diplomatie préventive de l’ONU, les mesures africaines de réaction face aux crises imminentes devraient inclure des initiatives diplomatiques, juridiques et militaires.
Au niveau diplomatique, il est incontestable de remarquer que les initiatives de l’Union africaine ont lieu habituellement dans des situations où les conflits ont déjà éclaté. Toutefois, il serait souhaitable que des actions visant à prévenir, désamorcer et résoudre les conflits soient également amorcées le plus tôt possible avant que ceux-ci n’éclatent de façon violente en jetant une multitude de personnes sur les chemins tortueux de l’exil. De telles actions pourraient d’abord inclure l’initiation de contact, l’ouverture de négociations avec les parties en conflit, ainsi que l’appel constant en vue du respect des droits de l’homme et des principes humanitaires internationaux. Les efforts de médiation suivraient ensuite, par la convocation de Conférences de paix afin de se pencher sur les problèmes spécifiques qui sont à la base des crises. Dans ce sens, l’utilisation de mécanismes de l’Union africaine, tels que le Panel des Sages[57] et les bons offices du Président de la Commission de l’UA[58] à travers la nomination d’envoyés spéciaux constituent déjà des approches fonctionnelles pouvant être davantage consolidées[59].
Sur le plan juridique, les possibilités de saisine directe des juridictions régionales africaines relatives aux droits de l’homme par les individus pourraient constituer des mesures efficaces de prévention des causes immédiates des déplacements forcés. Nous le disons ainsi, dans la mesure où les décisions rendues par ces juridictions à propos des allégations répétées de violations des droits de l’homme dans un pays donné pourraient servir d’indicateurs à la communauté internationale pour agir à titre préventif contre toutes situations pouvant donner lieu à des conflits et partant, à des déplacements forcés de population. Cependant, il est regrettable de constater que le nouveau Protocole portant statut de la future Cour africaine de justice et des droits de l’homme[60] adopté depuis le 1er juillet 2008 ne prévoit pas un accès direct des individus à cette Cour. En effet, ce Protocole maintient toujours en son sein une clause facultative de juridiction selon laquelle, « […] il appartiendra aux États membres de faire une déclaration permettant l’accès direct aux individus et aux ONG, avant que la nouvelle Cour ne puisse recevoir leurs pétitions »[61]. On assiste donc là à une incohérence juridique, par le simple fait que les compétences de la Cour se trouvent ainsi restreintes, par rapport aux requêtes individuelles et partant, des victimes potentielles de déplacements forcés. Ce frein s’observe évidemment dans le premier arrêt rendu par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui n’a pu statuer dans l’affaire Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal[62], pour la simple raison que cet État ne figurait pas sur la liste des pays ayant fait cette déclaration spéciale acceptant la compétence de la Cour d’être saisie par les individus[63]. Dans ces conditions, nous sommes en droit d’affirmer que le fait de ne pas garantir l’accès direct aux individus constitue un pas en arrière, un véritable recul, en matière d’accès à la justice pour tous en Afrique. Cette démarche dilue l’efficacité du système africain de protection des droits de l’homme et est contraire aux dispositions relatives à l’accès à la justice dans plusieurs instruments internationaux sur les droits de l’homme, y compris la Charte ADHP[64]. Comment un État, présumé violateur des droits de l’homme pourrait accepter de reconnaître la compétence de la Cour, pour des requêtes émanant de ses ressortissants nationaux ? L’idéal dans ces circonstances n’aurait-il pas été de s’inspirer du Protocole n° 11 de la CEDH en Europe, qui supprime la clause facultative de juridiction afin de rendre efficace la Cour EDH ?[65]
Sur le plan militaire, les mesures de prévention des causes immédiates des déplacements forcés de population dans le cadre africain découlent de la nouvelle Architecture de paix et de sécurité de l’Union africaine (APSA). Conçue comme un ensemble d’outils fonctionnels autour du CPS, cette nouvelle Architecture africaine de la paix et de la sécurité a pour vocation de répondre de manière globale et entièrement complémentaire à un certain nombre de problèmes complexes inhérents à des situations de crise sur le continent. La Force africaine en attente (FAA) constitue l’une des composantes majeures de l’APSA dont le rôle dans les opérations de soutien à la paix tel qu’adopté en 2004, trouve sa véritable impulsion politique dans l’Acte constitutif de l’UA et du Protocole relatif au CPS. Ceux-ci donnent entière compétence à l’UA (par l’intermédiaire de la FAA) d’intervenir dans un État membre, en cas de circonstances graves, à savoir les crimes de guerre, les génocides et crimes contre l’humanité[66]. Cette disposition, en elle-même, indique un véritable changement de paradigme et une évolution au plan de la doctrine africaine en matière d’opérations de soutien à la paix. Cela, d’autant plus que l’UA qui succède à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) affirme désormais le principe de la non-indifférence contrairement à celui sacro-saint de la non-ingérence précédemment en vigueur[67]. Ce droit d’intervention dévolu à la FAA est un défi pour les souverainetés irresponsables et s’exerce à travers une pluralité de mécanismes du maintien de la paix défini selon six schémas, conformément à la feuille de route relative à la mise en œuvre de la FAA[68] :
— Schémas 1 : Aide militaire pour une mission politique.
— Schémas 2 : Mission d’observation déployée conjointement avec une mission des Nations unies.
— Schémas 3 : Mission d’observation sans appui de l’ONU.
— Schémas 4 : Déploiement d’une force de maintien de la paix (sous Chapitre VI) et missions de déploiement préventif.
— Schémas 5 : Force de maintien de la paix pour des missions complexes et multidimensionnelles (humanitaire, désarmement, administration, etc.) avec présence de groupes hostiles.
— Schémas 6 : Intervention d’urgence, par exemple dans le cadre d’un génocide, lorsque la communauté internationale ne réagit pas suffisamment rapidement.
Donnée pour être opérationnelle à l’horizon décembre 2015[69], cette force pourrait contribuer à prévenir les causes immédiates des déplacements forcés de populations en Afrique à partir du schéma 4 de la feuille de route susmentionnée. Nous suggérons également ici le déploiement préventif et non des déploiements de types coercitifs afin de rester en adéquation avec l’objectif de sécurité humaine visé par la diplomatie préventive, c’est-à-dire dans un contexte non belligène.
Dans la pratique, toutes ces mesures de prévention des causes immédiates des déplacements forcés visent à atténuer des tensions et des rapports de forces qui existent déjà. En somme, celles-ci interviennent parfois trop tard et se révèlent alors insuffisantes pour juguler les antagonismes et pour empêcher le déclenchement d’une crise ou la récurrence d’un conflit. Trop souvent, la communauté internationale se retrouve alors réduite à traiter les questions sécuritaires et humanitaires et à chercher à minimiser l’impact d’un conflit sur les populations civiles au moment où les déplacements ont déjà commencé ou sont imminents. C’est pourquoi, au-delà de la prévention des causes immédiates, il convient de poursuivre les efforts pour anticiper en cherchant à traiter au plus tôt, les causes profondes des situations induisant les déplacements forcés de population en Afrique.
§ 2. Les mesures énergiques destinées à conjurer les causes profondes des déplacements forcés de population en Afrique
L’approche stratégique qui conduira à l’enracinement d’une véritable culture de prévention cohérente, efficace et légitime des déplacements forcés de populations en Afrique semble être, selon le débat international, celle qui consiste à s’attaquer aux causes profondes de ceux-ci dans toutes leurs dimensions. Ainsi, comme articulé dans la Décision EX.CL/déc.284 (IX) de la 9e Session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine et la Déclaration ministérielle de Ouagadougou (Burkina Faso) de 2006, s’attaquer aux causes profondes des déplacements forcés est au cœur de la prévention. Sans trouver de solutions aux causes profondes, toutes les autres mesures ne sont que des palliatifs aux symptômes. Parmi les mesures susceptibles de contribuer à une prévention des causes profondes des déplacements forcés de population en Afrique, il convient de mettre l’accent ici sur celles qui paraissent importantes. Les unes s’observent sous une dimension politique et économique (A), et les autres sous un angle social et militaire (B).
A. Les mesures politiques et économiques
Elles intègrent principalement le respect des droits de l’homme et la promotion de la gouvernance démocratique (1), ainsi que des efforts allant dans le sens de la promotion du développement socio-économique et de la réduction de la pauvreté en Afrique (2).
Le respect des droits de l’homme constitue sans conteste l’un des moyens de prévention des causes profondes des déplacements forcés, dans la mesure où il est de plus en plus admis que les violations des droits de l’homme concourent à briser toute perspective de construire des sociétés assises sur la paix et le développement durable. D’ailleurs, les droits de l’homme et les droits des réfugiés (et des personnes déplacées) entretiennent des liens inextricables. C’est dans cette perspective que le HCR considère la violation des droits de l’homme comme une « cause essentielle […] du déplacement massif de populations »[70]. L’OUA se situait déjà dans la même veine, lorsqu’elle avait expressément vu en son temps, « dans les violations massives des droits de l’homme » l’une des « causes profondes » des flux de réfugiés et personnes déplacées[71]. Malgré l’adhésion de presque tous les États africains à la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948[72], plusieurs Africains subissent encore des menaces à leur vie ou à leur liberté pour des raisons de race, de religion, de nationalité, d’opinion politique ou d’appartenance à un certain groupe social, qui sont toujours des preuves de persécutions[73].
D’autres violations graves des droits de l’homme pour les mêmes raisons constituent également des persécutions. Il en va ainsi des multiples conflits entre les Nations qui tirent leur source de la confirmation ou de la revendication d’une certaine identité socio-culturelle propre, de la préservation ou de l’imposition d’un statut racial déterminé en fonction des enjeux socio-politiques, ainsi que de l’intolérance ou de l’intégrisme basé sur les croyances religieuses des peuples[74]. Pour parer à toutes ces carences socio-culturelles et politiques susceptibles de déboucher sur une massification de la violation des droits de l’homme, la prévention des causes profondes des déplacements forcés comporte plusieurs facettes. Outre la promotion des droits de l’homme, elle implique l’établissement de mesures renforçant la confiance entre les différents groupes ou communautés, la garantie des libertés individuelles, le soutien à la liberté de la presse et à l’état de droit ; la promotion de la société civile et d’autres types d’initiatives du même ordre qui s’insèrent plus ou moins dans le cadre de la sécurité humaine.
Il importe également de relever qu’aux violations des droits de l’homme, sont aussi assimilées les atteintes à la démocratie dans sa dimension politique autant qu’administrative et économique[75]. Comme on peut le constater, la contestation du pouvoir politique a été en Afrique l’une des causes profondes de plusieurs conflits armés et des situations de déplacements forcés. Cette remarque est partagée à une nuance près par le Secrétaire générale des Nations unies lorsqu’il affirme que : « C’est la nature du pouvoir politique dans bien de pays d’Afrique de même que les conséquences […] de la prise du pouvoir et du maintien de celui-ci, qui est une source majeure de conflit [et des déplacements forcés] dans le continent »[76]. C’est le même constat que fait le Human Security Centre dans son rapport lorsqu’il mentionne que : « The risk of civil war is indeed low in stable and inclusive democracies but countries with governments that are partly democratic and partly authoritarian […] are more prone to civil war than either democracies or autocracies »[77]. Dans ces conditions, la promotion et le renforcement d’une culture démocratique pourraient contribuer à prévenir les causes profondes des conflits, et partant, des déplacements forcés de population en Afrique. Ce qui peut impliquer la création de capacités et d’institutions démocratiques, la répartition constitutionnelle des pouvoirs et l’alternance politique.
Au niveau spécifique africain, il convient de noter que deux instruments sont également disponibles pour soutenir la paix, la bonne gouvernance, et par-delà, prévenir les causes profondes des déplacements forcés. Ces instruments sont constitués par la Charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance, ainsi que le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD)[78].
La Charte africaine de la démocratie, des élections, et de la gouvernance (connue aussi sous le nom de la Charte d’Addis-Abeba) adoptée en janvier 2007 par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA, est entrée en vigueur le 15 février 2012 après le dépôt du quinzième instrument de sa ratification par le Cameroun (le 16 janvier 2012) conformément à l’article 48 de la Charte. Le caractère novateur et pertinent de cette Charte vient du fait qu’elle est l’un des rares instruments du genre en droit international, qui érige la démocratie et la participation populaire en droits fondamentaux de l’homme et des peuples[79], et qu’elle prend en compte les problèmes de gouvernance auxquels l’Afrique contemporaine est confrontée. Ceci amène forcément la Charte africaine de la démocratie à avoir de la démocratie une approche holistique. C’est ainsi que n’ont pas été perdues de vue les questions du changement anticonstitutionnel de régime[80], de la corruption[81], de l’équilibre des genres, des minorités et des couches vulnérables[82], du contrôle civil des forces armées[83], « … ». À l’évidence, ces questions, et d’autres encore, si elles sont mal gérées peuvent saper les efforts que les peuples consentent dans le processus de démocratisation et donner lieu à des situations d’instabilité politique susceptibles de déboucher sur des déplacements forcés. Malgré son aspect novateur et la pertinence des principes qu’elle énonce, la Charte recèle de beaucoup d’insuffisances et apparaît à certains égards plus comme un moyen pour les régimes en place de se pérenniser qu’un outil devant permettre l’enracinement des principes fondamentaux de la démocratie et déblayer le terrain pour une alternance démocratique et pacifique en Afrique[84]. Ceci étant, une Charte africaine de la démocratie, même imparfaite, que la pratique contribuera à améliorer vaut sans doute mieux que pas de Charte du tout. La Charte africaine de la démocratie doit donc être appréciée à sa juste valeur, c’est- à-dire comme une étape et non comme une fin.
S’agissant enfin du NEPAD, cet instrument peut également contribuer à prévenir les causes profondes des déplacements forcés, à travers son initiative de démocratie et de bonne gouvernance politique. L’aspect novateur de cette initiative de démocratie et de bonne gouvernance politique initiée par le NEPAD réside dans son « Mécanisme Africain d’Évaluation des Pairs » (MAEP), dont l’un des objectifs majeurs est d’assurer, entre autres[85], le suivi des objectifs mutuellement convenus entre États tout en se conformant aux meilleures pratiques relatives à chaque domaine de gouvernance et de développement. Il s’agit désormais d’évaluer dans les États ayant adhéré au « Mécanisme » le respect des valeurs, des codes et standards contenus dans la Déclaration de Durban[86]. Ceci doit permettre à terme de favoriser l’adoption de politiques, de standards et de pratiques conduisant à la stabilité politique, la croissance économique, le développement durable ainsi que l’accélération de l’intégration économique au niveau sous-régional et continental grâce au partage des expériences, au renforcement des meilleures pratiques tout en évaluant les besoins pour le renforcement des capacités. À ce jour, 29 pays africains ont accepté de se plier volontairement à cet exercice. Il s’agit de la République sud-africaine, du Bénin, du Botswana, du Burkina Faso, du Cameroun, de l’Égypte, de l’Éthiopie, du Gabon, de la Gambie, du Ghana, du Kenya, du Lesotho, du Malawi, du Mali, du Maroc, de Maurice, du Mozambique, de la Namibie, du Niger, du Nigeria, de l’Ouganda, du Rwanda, du Sénégal, du Swaziland, de la Tanzanie, du Tchad, de la Zambie, du Zimbabwe et de l’Algérie[87]. Sur ces 29 pays, 14 ont créé leurs structures nationales et sont à différentes étapes de mise en œuvre du processus MAEP[88]. Grâce à cette initiative du NEPAD, l’affirmation des principes de gouvernance politique et économique sort ainsi du statut d’incantation au profit de celui d’obligation contraignante[89], et peut ainsi participer à la prévention des causes profondes des déplacements forcés en Afrique, à travers les bonnes pratiques adoptées par les États.
À l’instar du respect des droits de l’homme et de la promotion de la gouvernance démocratique, la réduction de la pauvreté ainsi que la promotion du développement socio‑économique peuvent aussi contribuer à l’enracinement d’une culture durable de paix et de prévention des causes profondes des déplacements forcés en Afrique.
La prévention des causes profondes des déplacements forcés en Afrique doit nécessairement aussi passer par le développement socio-économique du continent et la réduction de la pauvreté. Cela se justifie d’autant plus que le sous-développement figure parmi les facteurs générateurs de crises de réfugiés et de personnes déplacées. En effet, l’Afrique est le continent où la pauvreté sévit à grande échelle. Elle est le lot quotidien de la population. C’est aussi en Afrique que les conflits armés font le plus de ravages. Cet état de fait conforte l’idée selon laquelle pauvreté et violence vont de pair dans la mesure où les pays développés semblent être à l’abri des conflits violents. Dans cette logique, on peut valablement soutenir que « Sans développement, il n’y a guère d’espoir de réduire les conflits en Afrique »[90]. Cette paupérisation endémique combinée aux autres facteurs tels que justement les conflits armés, contraignent inéluctablement les populations africaines à fuir leur pays d’origine ou leur lieu de résidence habituelle.
Réduire la pauvreté endémique de l’Afrique, c’est y promouvoir un développement durable, gage d’une paix aussi pérenne. Le Human Security Centre dans son rapport de 2005 a d’ailleurs abondé dans ce sens, lorsqu’il soulignait que « Poverty is associated with weak state capacity. The greater the poverty and the lower the capacity, the higher the risk of war »[91]. Dans cette logique, la prévention au niveau des causes profondes des déplacements forcés peut donc désigner la promotion de la croissance économique et des possibilités qu’elle offre ; l’amélioration des termes de l’échange et des possibilités d’accès aux marchés extérieurs pour les pays en développement et l’incitation à procéder aux réformes économiques et structurelles nécessaires[92]. Les institutions africaines l’ont également bien compris dans la mesure où celles-ci, par le biais du NEPAD ont commencé à mettre naturellement l’accent sur la nécessité de promouvoir le développement socio-économique et la lutte contre la pauvreté. Ainsi, le NEPAD, ce programme socio-économique de l’UA, en faisant de l’éradication de la pauvreté son principal objectif, place l’être humain au centre de ses préoccupations. Dans ce sens, le combat contre la pauvreté sur le continent s’est accentué avec l’adoption en 2004 de la Déclaration et du plan d’action de Ouagadougou sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté en Afrique. Celle-ci recommande aux États de prendre des mesures en vue de :
— élaborer des politiques économiques et sociales intégrées et des réformes efficaces aux niveaux national, régional et continental afin de réduire les obstacles structurels à l’investissement et l’entreprenariat ;
— promouvoir les partenariats privés-publics ;
— encourager l’entreprise citoyenne ;
— créer des conditions propices à l’augmentation de la production et la création d’emplois[93].
Ce faisant, l’évolution économique récente en Afrique connaît des améliorations encourageantes. Le continent enregistre une forte croissance économique depuis environ une dizaine d’années. Le taux de croissance est passé de 5,2 % en 2005 à 5,7 % en 2006 puis 5,8 % en 2008[94]. Cette performance de la croissance économique en Afrique repose essentiellement sur des facteurs tels que la poursuite de la consolidation macroéconomique et l’amélioration de la gestion macroéconomique, ainsi qu’une volonté accrue de mener des réformes économiques[95]. Cette évolution de la croissance économique à permis à de nombreux pays africains de faire un pas considérable dans la lutte contre la pauvreté, à l’instar de l’Afrique subsaharienne qui a vu par exemple la proportion de sa population vivant avec moins d’un dollar par jour, chutée de 45,5 % en 1993 à 41,1 en 2004[96]. Malgré cette embellie, il reste toutefois que pour contribuer efficacement à prévenir les causes profondes des déplacements forcés, des efforts doivent encore être fait par l’UA/NEPAD dans le domaine des priorités sectorielles tels que l’agriculture, les infrastructures, l’investissement, la santé, l’éducation, les échanges et l’accès au marché mondial, etc.[97].
Sur le plan international, une aide au développement, sans doute reformée[98], peut aussi être un précieux outil de prévention à long terme des causes profondes des déplacements forcés en Afrique. Certains spécialistes vont même jusqu’à soutenir que « La coopération au développement est indiscutablement l’instrument unique le plus important d’une politique efficace de consolidation de la paix dans les pays en développement »[99]. Dans ces conditions, l’ONU peut véritablement contribuer à lutter contre la pauvreté et l’inégalité des chances économiques en Afrique en réduisant sensiblement le coût des OMP et en réaffectant les crédits au profit de l’aide au développement[100]. Dans ce sens, elle pourrait corriger la démarche qualifiée par certains auteurs de contresens absolu qui a jusque-là consisté, en matière de traitement des conflits, à prélever pour l’action humanitaire des crédits initialement alloués au développement[101]. De même, les États membres devraient accroître le montant de l’aide au développement qui passe par le canal de l’organisation mondiale afin de lui donner les moyens de réduire véritablement la pauvreté. Ce montant est encore extrêmement faible. Il est égal à 6,5 % du total[102].
Pour une meilleure prévention des causes des déplacements forcés de population en Afrique, il conviendrait en outre d’adopter des mesures sociales et militaires.
B. Les mesures sociales et militaires susceptibles de prévenir les causes profondes des déplacements forcés
Les mesures qui peuvent être prises ici en vue de prévenir les causes profondes des déplacements forcés doivent s’orienter dans le sens du renforcement des droits des minorités (1) et du contrôle de la prolifération des armes (2).
En Afrique, il est bien connu que les États sont socialement pluriethniques. À l’exception du Botswana, il n’y existe pas de pays ethniquement homogènes[103]. La Conférence de Berlin de 1885 y a contribué pour beaucoup. En considération de leurs propres intérêts, les puissances européennes avaient procédé au morcellement du continent à travers un tracé artificiel des frontières qui ne correspondent nullement aux réalités ethniques et tribales. Mieux, avec la colonisation, « […] des populations qui s’ignoraient furent amenées à comparer leurs cultures respectives et contraintes de les rejeter sous le prétexte d’avoir à créer une nation aux frontières précises mais artificielles, dont l’unité ne pouvait se faire qu’en adoptant la culture du colonisateur »[104].
Aujourd’hui, les pays africains sont parvenus à l’édification de leur État, mais celle de la nation reste encore problématique. Dans l’idéale, elle devrait consister à forger une véritable identité nationale à partir de communautés souvent disparates, voire rivales, mais parfaitement intégrées dans le cadre de l’État-Nation tel que conçu par Ernest Renan[105]. Il n’est donc pas surprenant de constater que la question des minorités soit souvent au cœur de sanglants conflits pouvant conduire à des déplacements forcés de population.
Partant de cette situation, il serait superflu de préconiser un droit à l’autodétermination à chaque minorité, surtout dans un contexte actuel où les États africains ont décidé de consacrer unanimement l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation en faisant de la règle de l’ »Uti possidetis Juris » un principe intransgressible[106]. A contrario, la balkanisation ne connaîtrait plus de limite si chacun des groupes ethniques, religieux, ou linguistiques minoritaires prétendait au statut d’État. Par contre l’ONU, en étroite collaboration avec l’Union africaine pourrait veiller à ce que leurs droits soient respectés voire renforcés en condamnant sans réserve les politiques identitaires et l’exploitation violente du facteur ethnique. Pour ce faire, elle pourrait s’inspirer de la politique de l’UE qui a consisté à créer un observatoire pour le suivi des minorités afin de prévenir les risques de conflits y afférents. À ce titre, elle pourrait envisager la création, en Afrique subsaharienne, de quatre observatoires des minorités — à raison d’un observatoire par sous-région. Ces observatoires pourraient fournir à terme des indications utiles permettant à l’ONU ou à l’UA d’intervenir en amont, afin d’éviter qu’une tension ethnique répétée ne provoque l’explosion d’un conflit armé. Dans ce sens, prévenir les causes profondes des déplacements forcés de population reviendrait à « […] pousser un État déterminé où une crise menace, à entreprendre des négociations avec sa ou ses minorités, et des réformes de structures […] nécessaires à l’atténuation de la tension »[107].
Aussi la prévention au niveau des causes profondes des déplacements forcés impliquant des minorités doit-elle avoir pour objectif essentiel de forger les instruments juridiques et institutionnels nécessaires à la mise en place de conditions propices à l’intégration des populations concernées, en vue de pallier toute éventualité de stigmatisation, de marginalisation sociale ou, à l’inverse, de toute volonté étatique d’assimilation forcée[108].
Au-delà de toutes ces considérations, la problématique du contrôle et de la limitation des armes est aussi présente dans la prévention des causes profondes des déplacements forcés de population en Afrique. Celle-ci mérite une attention particulière si la communauté internationale espère réussir la prévention.
La prolifération des armes, surtout celles dites légères et de petits calibres, constitue une réalité en Afrique[109]. À ce sujet, tous les observateurs avertis sont aujourd’hui unanimes pour considérer que l’afflux des armements entretient et amplifie l’insécurité de même qu’il permet le déclenchement d’un conflit armé[110]. Il semble dès lors, impossible de réfléchir à une politique efficace de prévention des causes profondes des déplacements forcés sans s’intéresser de façon minutieuse à cette problématique.
Les programmes de désarmement mis en place en aval des conflits et menés dans le cadre des OMP (comme nous le verrons plus loin) représentent déjà un moyen de lutte non négligeable contre la prolifération des armes. Une meilleure solution consisterait toutefois à rechercher le moyen d’empêcher l’accès aux armes, et ce, en amont des conflits. C’est dans cette perspective qu’il convient d’admettre qu’« un des aspects majeurs de la prévention des conflits est l’amélioration du contrôle et de la limitation des exportations d’armes, en particulier des armes légères »[111]. La limitation des armes paraît réaliste que leur suppression. La question est, en effet, assez délicate puisque reliée aux intérêts géopolitiques et économiques de certains États. Leur commerce représente un chiffre d’affaires astronomique pour qu’une interdiction totale soit réalisable sur le plan pratique malgré leurs destructions massives[112].
Pour parvenir à un contrôle et à une limitation de la prolifération des armes dans une perspective de prévention des causes profondes des déplacements forcés de population en Afrique, il semble nécessaire d’opérer à la fois sur l’offre et la demande. Ainsi, en matière d’offre, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité représentent environ 85 % des transferts d’armes classiques[113] quoiqu’ils assument la responsabilité la plus élevée pour la sécurité mondiale. Dans la même veine, le tableau qui suit montre les dix premiers pays exportateurs et importateurs d’armes en Afrique subsaharienne. La plupart d’entre eux financent des programmes de Démobilisation/Désarmement/Réintégration (DDR) en Afrique, lorsque les armes légères ont déjà provoqué plusieurs morts.
Les dix premiers pays exportateurs et importateurs d’armes en Afrique au sud du Sahara, 2002‑2004
10 premiers exportateurs mondiaux d’armes en Afrique subsaharienne | 10 premiers importateurs mondiaux d’armes en Afrique subsaharienne | ||||
Position | Pays exportateurs | Moyenne annuelle en $ | Position | Pays exportateurs | Moyenne annuelle en $ |
1. | Espagne | 1.500.000 | 1. | Ghana | 1.300.000 |
2. | France | 840.000 | 2. | Afrique du Sud | 910.000 |
3. | USA | 550.000 | 3. | République démocratique du Congo |
396.000 |
4. | Italie | 430.000 | 4. | Ouganda | 300.000 |
5. | Chine | 320.000 | 5. | Guinée | 150.000 |
6. | Croatie | 190.000 | 6. | Namibie | 130.000 |
7. | Slovaquie | 150.000 | 7. | Burkina Faso | 67.000 |
8. | Autriche | 115.000 | 8. | Guinée-Bissau | 60.000 |
9. | République tchèque | 90.000 | 9. | Tanzanie | 37.000 |
10. | Suisse | 90.000 | 10. | Sénégal | 36.000 |
Source : Oxfam, Ammunition : The Fuel of Conflict, London, Oxfam Briefing Note, June 2006, p. 5.
Au regard du tableau ci-dessus mentionné, il n’est pas étonnant que la présidente du mouvement contre la circulation des armes légères en Afrique de l’Ouest (MALAO) mette l’emphase sur le fait que : « les pays extérieurs doivent comprendre et considérer que les armes ne sont pas des marchandises banales qu’ils exportent dans des pays fragiles pour les déstabiliser et revenir jouer les sapeurs‑pompiers avec des programmes de Désarmement/Démobilisation/Réinsertion (DDR). La sécurité de leur propre pays commence à l’extérieur de leur frontière »[114].
De ce qui précède, il est plus qu’urgent que des politiques et actions soient mises en place en vue de lutter contre la prolifération des armes surtout légères en Afrique[115]. Aussi pour un contrôle responsable au niveau international, les États occidentaux intervenant dans le commerce des armes pourraient-ils adopter les principes suivants :
— subordination des critères commerciaux au jugement politique et moral ;
— refus des transferts d’armes vers des pays qui se livrent ou risquent de se livrer à des actes d’agression ;
— suppression des subventions gouvernementales directes et indirectes aux transferts d’armes ;
— refus des transferts d’armes vers des pays coupables de violations graves et répétées des droits de l’homme, ou qui consacrent aux achats d’armes des sommes inutilement élevées ;
— définition de procédures nationales et internationales de limitation responsable des transferts d’armes[116] ;
Quant à la demande, deux remarques s’imposent. Les États non démocratiques ont le plus souvent recours aux armes pour affermir leur pouvoir et réprimer toute opposition. Cette dernière recourt aux armes à son tour pour tenter de renverser les premiers lorsque le système politique ne permet pas aux forces politiques d’accéder au pouvoir par des élections démocratiques[117]. Cette constatation fait apparaître une fois encore la nécessité de promouvoir une culture démocratique en Afrique pour asseoir la paix sur des bases solides et durables.
Au niveau spécifique africain, dans le cadre sous-régional, des progrès considérables ont été accomplis dans la lutte contre la prolifération illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC) à travers la signature, la ratification et la mise en œuvre de protocoles ou conventions juridiquement contraignants. Ceux-ci concernent à la fois, le Protocole de la SADC de 2001 sur le contrôle des armes à feu, leurs munitions et matériels connexes ; le Protocole de Nairobi de 2004 sur le contrôle, la prévention et la réduction des armes légères et de petit calibre dans la région des Grands Lacs, la Corne de l’Afrique et les États limitrophes ; la Convention de la CEDEAO de 2006 relative aux armes légères et de petit calibre, leurs munitions et autres matériels connexes[118] ; ainsi que la Convention de la CEEAC de 2010 pour le contrôle des armes légères et de petit calibre, de leurs munitions et toutes pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication, réparation et assemblage. Toutefois, pour l’ensemble des États de chacune des sous-régions africaines concernées, des efforts restent encore à accomplir pour parachever la mise en œuvre complète des instruments qu’ils se sont donnés. Dans ce sens, ces derniers doivent faire preuve de bonne volonté en remplissant de bonne foi, les obligations auxquelles ils ont librement souscrit par la mise en place des commissions nationales de lutte contre la prolifération des armes légères, afin d’assurer l’harmonisation des mesures législatives, le renforcement du contrôle frontalier, le marquage et le traçage, le contrôle du courtage, la gestion et la sécurisation des stocks d’armes ainsi que le contrôle de leur détention par les civils[119]. Dans le même sens, il conviendrait par exemple pour ces États d’établir des rapports annuels aux organes compétents de l’UA sur les progrès accomplis dans la mise en œuvre de la lutte contre la prolifération illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC), afin d’en évaluer l’impact.
Au demeurant, d’autres mécanismes se situant dans le prolongement de la sécurité humaine peuvent également contribuer à la prévention des causes profondes et immédiates des déplacements forcés. Ceux-ci peuvent être identifiés dans le cadre des programmes de consolidation de la paix et de reconstruction des États fragiles émergeant d’un conflit.
II. La nécessaire dimension reconstructrice de la prévention
des causes des déplacements forcés en Afrique
Cette dimension reconstructrice de la prévention des causes des déplacements forcés de population en Afrique doit se situer dans le prolongement de la sécurité humaine et doit constituer à ce titre, un élément fondamental de la pérennisation de la paix et de la stabilité au sein des États émergeant d’un conflit. Nous le disons ainsi, dans la mesure où les conflits en Afrique touchent de façon disproportionnée les populations civiles. Même lorsqu’ils prennent fin, le risque d’une recrudescence des conflits reste élevé et les processus de paix demeurent souvent précaires. Dans ces conditions, comme le souligne le Secrétaire général des Nations unies dans son Rapport sur la sécurité humaine de 2010, « Les situations d’après conflits se caractérisent donc par leur instabilité et engendrent de nouvelles incertitudes, qui risquent d’empêcher la population d’instaurer les conditions propices au redressement de la société »[120].
Face à cette réalité, il existe en période post-conflit d’importantes possibilités de remédier aux causes profondes des conflits, et donc aux causes potentielles des déplacements forcés de population en Afrique. Ces possibilités peuvent consister dans l’adoption de mesures visant à promouvoir la consolidation de la paix pendant la phase de transition post-conflit (§ 1). Il peut également s’agir d’un appui solide à la reconstruction des États en transition post-conflit (§ 2), surtout de la part de la communauté internationale. En intégrant la problématique des déplacements forcés de population en Afrique dans ce nouveau paradigme offert par la sécurité humaine, c’est contribuer à enrayer à la source, leur éclosion future.
§ 1. Pour l’intégration de la prévention des causes des déplacements forcés à la problématique de consolidation
de la paix en Afrique
Dans un contexte post-conflictuel, consolider la paix vise à assurer une transition entre la guerre et la paix. Bien que les auteurs distinguent parfois la période « post-conflit » de la période de « transition »[121], se poser la question de savoir quel terme est le plus approprié pour qualifier la situation relève du non-sens surtout lorsque les statistiques se révèlent implacables en la matière : « environ la moitié des pays qui sortent d’une guerre retombent dans la violence dans les cinq années qui suivent »[122]. Face à ce constat, la période de transition appelle donc une consolidation systématique de la paix. Cet impératif de consolidation de la paix qui apparaît comme le pendant naturel de la diplomatie préventive[123] intègre un certain nombre de mesures de nature militaire et politique susceptibles de prévenir la résurgence d’un conflit, et par conséquent de remédier aux causes potentielles des déplacements forcés de population. Ces mesures consistent à démilitariser la société ayant été en proie à la violence armée (A) et à démocratiser son entité étatique (B).
A. La transition sécuritaire comme moyen de prévention des causes
de déplacements forcés
L’existence des armes dans les zones de conflit aggrave ce dernier et retarde sa résolution. C’est pourquoi les composantes essentielles du processus DDR[124] que sont à la fois le désarmement, la démobilisation (1) et la réintégration des ex-combattants (2) à l’issue d’un conflit peuvent être classées au chapitre de la prévention des causes des déplacements forcés.
Dans cette première étape du processus de DDR inhérente à la prévention des causes des déplacements forcés, il convient de distinguer le processus de désarmement (a), de la phase de démobilisation des ex-combattants (b).
Les mesures de désarmement représentent une phase essentielle de la consolidation de la paix. Aux yeux de certains spécialistes, « […] cette phase de démilitarisation d’un pays ayant été en proie à un conflit est le point de départ de tout effort pour instaurer une paix durable »[125] et pour prévenir toute éventuelle situation pouvant donner lieu à des déplacements forcés futurs.
Le désarmement consiste dans l’opération visant « l’inspection, le contrôle et l’élimination des armes légères, les munitions, les explosifs et armes portatives et armes lourdes des combattants et souvent des populations civiles »[126]. Il s’agit de rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire, réduire le nombre d’armes en circulation dans le pays et au sein des communautés et ménages et surtout restaurer la confiance ainsi que la sécurité. La singularité du désarmement réside en ceci que l’objectif principal des missions et activités en la matière porte sur les outils et instruments de guerre. Il s’agit donc d’inventorier ces outils, de les collecter et de les soustraire de la possession des combattants. Le volet « Désarmement » des processus de DDR demeure le socle de la question sécuritaire post-conflit. Il est souvent associé à un important processus de réforme du secteur de la sécurité tant au plan national, régional, continental, qu’international, pour la simple raison que la non-maîtrise de la circulation des armes fussent-elles légères constitue un facteur indéniable d’insécurité et une source potentielle d’approvisionnement pour des conflits futurs.
Des programmes de désarmement ont été conduits en Angola, au Mozambique, en Sierra Léone, en Namibie, en Érythrée, en RDC, au Libéria, en Côte d’Ivoire, etc. Toutefois, on s’aperçoit que sur tous ces programmes de désarmement, le taux de réussite est à peine de 20 % selon les chiffres mêmes des Nations unies[127]. C’est dire que les programmes de désarmement n’ont pas encore sensiblement tenu la promesse de prévention des conflits et des déplacements forcés qu’ils renferment. Cela, d’autant plus que la collecte des armements et les avantages proposés aux démobilisés ont pu entraîner des effets secondaires dangereux, accentués par la porosité des frontières et les contextes régionaux. Ainsi, de nombreux cas ont été rapportés d’ex-combattants ayant participé aux programmes de DDR d’une même région, pour percevoir à chaque reprise, les avantages réservés aux démobilisés[128], comme en Afrique de l’Ouest par exemple (Libéria, Sierra Léone, Côte d’Ivoire). Des trafics d’armes ont aussi été constatés entre pays limitrophes, œuvre de groupes qui exploitaient les avantages promis en échange du désarmement[129].
Dans ce contexte, un désarmement qui se veut préventif doit être rationnellement conduit sur l’ensemble du territoire concerné, et ce, de manière simultanée. En outre, lorsqu’il est mis en œuvre dans des situations qui ont des implications sous-régionales, la meilleure approche de prévention reste celle qui met un accent sur la recherche de solutions transfrontalières. Ce faisant, un mécanisme de coordination régionale tout au long du programme de DDR, qui permettrait un partage systématique d’information, pourrait également constituer un instrument pertinent pour garantir la prise en compte de cette dimension. Que retenir de l’étape suivante qu’est la démobilisation ?
La démobilisation est le processus par lequel les forces ou groupes armés réduisent leur effectif dans le cadre d’une transition vers la paix[130]. Elle implique en général le regroupement, le cantonnement, l’administration et la préparation au retour à la vie civile des anciens combattants, lesquels reçoivent diverses formes d’indemnisation et d’assistance devant faciliter leur réinsertion dans la société. Dans un contexte d’extrême pauvreté, cette phase peut être perçue comme un moyen de sortir de la misère, comme nous l’avons évoqué plus haut.
La démobilisation constitue donc une phase symboliquement importante par laquelle le combattant acquiert un statut civil. Cela se traduit notamment par la remise d’un document d’identité et par l’enregistrement individuel dans une base de données du programme. Le recours aux camps de cantonnement a longtemps été la procédure standard. Or il a été noté que celui-ci peut prolonger l’existence des structures de commandement internes aux groupes armés dont l’effacement est pourtant l’objectif même de la démobilisation. Ainsi, la hiérarchie de la faction armée se confirmerait et se reproduirait pendant le cantonnement, allant à l’encontre de sa raison d’être[131]. Le cantonnement est par ailleurs une solution coûteuse en moyens financiers, sécuritaires et logistiques. C’est la raison pour laquelle les IDDRS[132] recommandent l’alternative plus flexible de la démobilisation mobile, directement dans les sites où les groupes armés sont rassemblés sous l’autorité de leur propre hiérarchie. Le choix doit être déterminé par une estimation de l’environnement politico-sécuritaire.
Le processus de démilitarisation à la fois constitué par le désarmement et la démobilisation des ex-combattants ne vise pas seulement à priver les belligérants de leurs moyens de destruction mutuelle. Sa deuxième fonction doit consister à faciliter un retour des combattants à des conditions de vie normales dans le civil. C’est pourquoi cette phase de désarmement et de démobilisation, pour importante qu’elle soit mérite d’être parachevée par celle de la réintégration.
Au sens des Nations unies, la réintégration[133] « est essentiellement un processus social et économique de durée non déterminée, qui a lieu principalement dans les collectivités au niveau local. Elle fait partie du développement général d’un pays et est une responsabilité nationale, et elle exige souvent une assistance extérieure à long terme »[134]. En tant que tel, le processus de réintégration est complémentaire au désarmement et c’est la réussite de ces deux composantes de la démilitarisation post‑conflit qui amenuise les risques de résurgence des conflits, et partant, des causes potentielles des déplacements forcés de population. La réintégration permet aux combattants désarmés et démobilisés de retourner à la vie communautaire en tant que civils pour y jouer un rôle normal. Le but ici est d’accroître leur potentiel social et économique. Dans ce sens, la réintégration peut signifier le retour dans les familles, l’acquisition de techniques de formation ou l’intégration dans les forces armées. Le processus de réintégration est une entreprise ardue, mais nécessaire qui requiert une bonne dose de réalisme et de patience. Il convient de consacrer des ressources suffisantes aux activités de Désarmement-Démobilisation-Réintégration. Dans les phases post-conflictuelles où « les vieux démons dorment encore d’un sommeil léger », s’abstenir de le faire peut conduire à la recrudescence de la violence armée et au risque des déplacements forcés de populations.
Le processus de DDR effectif est la condition préalable fondamentale pour la paix, la stabilité et le développement humain dans les sociétés post-conflits africaines en développement. Même s’il n’est pas préconisé un traitement spécial pour les anciens combattants, l’échec récurrent du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration de ces derniers constitue une préoccupation majeure[135]. Il convient de souligner que si la question n’est pas suffisamment abordée, cette catégorie de populations peut être une cible facile pour les personnes sans scrupule et/ou des groupes organisés pour le recrutement en vue de la vente de leur seule compétence — la guerre. Beaucoup reste donc à faire dans ce domaine. Les possibilités susceptibles de résorber cet épineux problème peuvent comprendre entre autres, l’introduction d’opportunités de travail rémunéré à forte absorption de main d’œuvre tels que les projets de réhabilitation des routes et des infrastructures nationales.
Il reste que des mesures concrètes et efficaces de démilitarisation aussi diverses que celles qui portent sur le désarmement, la démobilisation et la réintégration des ex-combattants, peuvent contribuer à prévenir les conflits ou leur résurgence en réduisant le volume des armes en circulation et en les rendant moins aisément accessibles.
Dans le même cadre de la consolidation de la paix, les efforts déployés en faveur d’une démocratisation des États en transition post-conflit peuvent également contribuer à empêcher la résurgence de la violence armée et donc des causes potentielles des déplacements forcés de population en Afrique.
B. La transition démocratique comme outil de prévention des causes des déplacements forcés
Ces dernières années, les efforts de la communauté internationale dans le domaine de la démocratisation des États en transition post-conflit se sont concentrés essentiellement sur l’assistance électorale. Cette assistance électorale fournie dans le cadre d’opérations de consolidation de la paix peut consister à proposer des conseils en matière de droit électoral, organiser ou superviser des élections, observer le déroulement des campagnes électorales, assurer les opérations de vote et le dépouillement des résultats, voire rédiger des lois électorales[136].
Depuis les indépendances, plusieurs dirigeants africains ont considéré l’État comme un bien personnel, un patrimoine pour leur clan ou leur tribu. De nombreux conflits armés ont eu pour causes profondes la contestation de cette forme « kleptomaniaque » de gestion du pouvoir politique. C’est pourquoi il convient de faire remarquer, comme le souligne à juste titre Béatrice Pouligny, qu’« au sortir d’un conflit, les élections doivent remplir un double objectif. D’une part, elles permettent d’installer un gouvernement légitime et démocratique ; ceci est particulièrement important dans des situations où […] il existe un vide politique au niveau de l’État […]. D’autre part, des élections permettent de consolider la paix dans le cadre d’un système démocratique stable »[137]. Aussi la plupart des missions de consolidation de la paix misent-elles sur les élections[138]. Considérant que l’implantation d’un processus démocratique permet de garantir une participation publique dans le partage du pouvoir, et de modérer la puissance de l’exécutif, l’ONU voit dans les élections un élément stratégique de la consolidation de la paix[139]. Cependant, cette importance accordée aux élections n’est pas toujours appropriée aux réalités du terrain[140]. Cela, d’autant plus que l’empressement de vouloir tenir des élections peut nuire considérablement au processus de paix. Ainsi, plutôt que d’installer les bases d’un système politique stable (compétition politique pacifique), une démocratisation hâtive peut avoir l’effet inverse et attiser les tensions entre les groupes adverses[141] comme ce fut le cas récemment en Côte d’Ivoire et au Kenya. De plus, comme le souligne Charles-Philippe David, la légitimité politique (concept primordial dans une démocratie) n’est pas nécessairement atteinte par la tenue d’élections même si celles-ci furent justes et libres. Pour cet auteur en effet, les factions peuvent être tentées de manipuler les élections à leur avantage. Le principal problème ne réside donc pas dans le processus électoral, mais plutôt dans la culture et les structures politiques des sociétés auxquelles on veut imposer un nouveau schéma politique. En somme, imposer des élections ne veut pas nécessairement dire que l’on parvient à institutionnaliser la démocratie[142].
Comme on le constate, les opérations électorales dans les phases de consolidation de la paix sont une condition nécessaire, mais non suffisante pour créer des démocraties viables en situation post-conflit. Dès lors, elles doivent s’accompagner de certaines mesures pour restaurer l’État de droit, lesquelles mesures pourraient valablement contribuer à atteindre l’objectif qui est d’éradiquer à la source les causes menant au déracinement forcé de population en Afrique. Ces mesures impliquent la mise en place d’institutions politiques et administratives légitimes et efficaces, qui garantissent des processus participatifs et soutiennent la transition démocratique. Hormis la facilitation des élections, les programmes à mettre en œuvre doivent comprendre la consolidation de la gestion et de l’administration au niveau du secteur public ; la mise en place d’un processus constituant représentatif ; le rétablissement de la gouvernance locale ; le renforcement de la législature ; une plus large participation de la société civile dans le processus décisionnel, ainsi que le renforcement des capacités des partis politiques et de la société civile en vue d’une gouvernance efficace tout en fournissant aux anciens groupes rebelles l’occasion de se transformer en partis politiques s’ils le souhaitent[143]. Dans le même sens, il conviendrait d’insister sur la génération d’une culture propice à l’État de droit basée sur des constitutions existantes ou nouvellement formulées, et favorable à la réforme du secteur de la justice et des institutions qui y sont associées. Enfin, la phase de transition démocratique doit se concentrer sur la nécessité d’assurer la pluralité et l’inclusion, le dialogue et la participation de toutes les parties prenantes et de tous les intéressés[144].
Au total, la consolidation de la paix à l’issue d’un conflit est un mécanisme conçu pour prévenir la résurgence des conflits, et partant, lutter contre les risques potentiels de déplacements forcés de population. Mais elle semble n’avoir pas encore fait ses preuves de manière probante, dans la mesure où l’actuel Secrétaire général des Nations unies M. Ban Ki-Moon a déclaré tout récemment que : « De nombreux pays continuent de faire l’expérience de l’instabilité des années après la fin des conflits armés, avec de véritables explosions de violence. 90 % des conflits survenus entre 2000 et 2009 ont éclaté dans des pays qui avaient connu auparavant des épisodes de guerre civile »[145]. Pour relever ce défi et contribuer efficacement à la prévention des causes des déplacements forcés en Afrique, la période de transition appelle donc une reconstruction systématique des pays qui sortent du conflit.
§ 2. Pour l’insertion de la prévention des causes de déplacements forcés dans une dynamique de reconstruction post-conflit en Afrique
Cette dynamique de reconstruction post-conflit susceptible de participer à la prévention des causes des déplacements forcés en Afrique doit comporter une double dimension : la première doit porter sur la reconstruction des infrastructures physiques de l’État et le développement socio-économique des communautés émergeant des conflits (A) une fois que les zones post-conflictuelles ont été sécurisées et la transition démocratique amorcée. La seconde, quant à elle, doit consister dans l’institutionnalisation d’une justice transitionnelle[146] en vue d’asseoir les socles d’une réconciliation nationale durable (B).
A. L’assistance à la reconstruction et le développement socio-économique des États en transition post-conflit
Les conflits ayant conduit à l’effondrement de plusieurs pays africains, les défis auxquels ceux-ci doivent faire face sont nombreux dans une situation post-conflictuelle[147]. La reconstruction post-conflit (et surtout la réintégration de populations déracinées) constitue de lourdes tâches pour des pays dépourvus d’infrastructures politiques, sociales, et économiques[148]. Les investissements nécessaires au plan humain et au plan financier sont majeurs. Dans ce contexte, les structures des États en transition post-conflit, affaiblies ou totalement détruites, ne peuvent adéquatement venir en aide aux populations, dont celles les plus vulnérables susceptibles de devenir des réfugiés ou des personnes déplacées. La faiblesse de l’État constitue donc une source d’insécurité. Dès lors, l’engagement et l’appui de la communauté internationale pour stimuler la reconstruction et le développement socio-économique des États en transition post-conflit sont des conditions essentielles en vue d’assurer le caractère durable de la paix. Cette coopération ne peut par ailleurs être temporaire, mais elle devrait idéalement s’étaler sur une longue période de temps.
Si elle est efficacement mise en œuvre, l’assistance à la reconstruction constitue un apport déterminant dans la consolidation pérenne de la paix. En revanche, un appui inadéquat ou insuffisant peut nuire au processus de paix et précipiter l’éclatement d’un nouveau conflit. À l’heure actuelle, les efforts de la communauté internationale dans les situations post-conflictuelles sont à la fois palliatifs et expéditifs. L’appui financier et politique aux États en transition post-conflit se révèle souvent en deçà de ce qui était initialement promis[149]. Le financement international est d’ailleurs bien souvent réduit peu de temps après la conclusion d’un accord de paix et suite à la tenue d’élections nationales. Un investissement solide dans les pays sortant du conflit afin de neutraliser les causes d’un nouvel exode se révèlerait pourtant moins coûteux à long terme qu’un climat d’instabilité qui perdure et pourrait ainsi contribuer à prévenir les déplacements forcés. Face à ce manque de volonté politique de la part de la communauté internationale, il convient de formuler des propositions destinées à dégager une stratégie globale et dynamique de reconstruction post-conflit susceptible de mettre à l’abri des risques de résurgence des conflits. Ce processus de reconstruction des infrastructures physiques et le développement socio-économique des États en transition post-conflit devraient couvrir le rétablissement, la réhabilitation et la reconstruction des services sociaux et économiques de base ainsi que le retour, la réinsertion, la réintégration et la réhabilitation des populations déplacées pendant le conflit, y compris les réfugiés et les personnes déplacées internes.
S’agissant spécifiquement des réfugiés et personnes déplacées internes rapatriés, les séquelles occasionnées par les années de conflit, de sous-développement et de négligence, peuvent toutefois entraver les efforts déployés par ces derniers pour se réintégrer et reconstituer leur moyen de subsistance. En conséquence des milliers d’entre eux n’ont d’autres choix que de se retrouver à nouveau déplacés dans leur propre pays. Certains sont même contraints de fuir à nouveau à travers les frontières internationales, relançant ainsi la spirale douloureuse de l’exil. L’absence d’une approche globale au redressement et à la reconstruction post-conflit aux niveaux national, régional et international continue d’être une pierre d’achoppement et doit être une fois encore condamnée avec la plus vive énergie[150]. Le manque d’appui adéquat et durable aux efforts de redressement et de reconstruction post-conflit aggrave la situation. L’insuffisance d’actions pour assurer une sécurité humaine généralisée, la faiblesse de l’économie locale, et la raréfaction des infrastructures sociales telles que les écoles et les centres de santé, rendent fragiles la paix et la stabilité et ouvrent de nouveau la voie aux conflits. Le processus de transition d’un état de guerre à la paix implique non seulement qu’il faut maîtriser les causes qui ont, à l’origine, déclenché les hostilités et atténuer le conflit en cours, mais qu’il faut aussi gérer les conséquences du conflit. Par exemple, la tendance des déplacements forcés voudrait que bon nombre de réfugiés et de personnes déplacées en Afrique le demeurent pour longtemps. Certains sont nés ou ont été élevés en exil ou encore, en état de déplacement interne. Pareilles situations modifient à plusieurs égards le mode de vie et les systèmes de subsistance tant au niveau individuel que communautaire. De longues années d’exil détruisent également le tissu social et privent les individus de l’opportunité de revivre ou de construire de nouveaux moyens de subsistance. Ces populations font donc face à des contraintes monumentales pour recréer leurs moyens d’existence dès leur retour.
Afin de remédier à toutes ces difficultés rencontrées par les réfugiés et personnes déplacées internes rapatriés, il aurait été intéressant d’étendre explicitement les attributions de l’actuelle Commission de consolidation de la paix de l’ONU (CCP)[151] aux besoins spécifiques de ces personnes vulnérables de retour. Certes, la CCP, du point de vue des « déracinés post-conflit », ne prévoit pas spécifiquement leur problématique dans son mandat. Néanmoins, elle apparaît comme l’outil des Nations unies pour créer un environnement pacifique à un double point de vue. D’une part, il s’agit, pour les pays sortis récemment d’un conflit armé, de mettre en place les « conditions propices » au retour des réfugiés et déplacés. D’autre part, pour les pays déjà sur la voie du rétablissement de l’État de droit (élections, État contrôlant relativement son territoire…), la CCP contribue, par son approche transversale[152] à l’assistance aux déracinés qui ont pu rentrer chez eux et à leur réintégration dans leur environnement d’origine[153].
Cela dit, l’expérience a montré que la majorité des conflits en Afrique ont été récurrents[154], entre autres parce que leurs solutions ont été de courte durée et manquaient de projections sur le long terme, excluant par là toute la gamme de mesures inhérentes à la résolution des conflits telles que la construction pérenne de la paix et la réconciliation. Il s’agit ici de trouver des solutions durables à la résurgence des conflits en Afrique, qui doivent aller au-delà d’un simple arrêt des hostilités pour inclure des programmes globaux et coordonnés de reconstruction, de réconciliation, de réhabilitation et de réintégration post-conflits. Dans ce sens, il convient de saluer l’adoption en juillet 2006 par le Conseil exécutif de l’Union africaine, de la Décision EX.CL/Dec.302 (IX) sur le Cadre politique de l’UA pour la reconstruction et le développement post-conflits (RDPC)[155].
Ce Cadre énonce les principes d’un redressement, d’une réhabilitation et d’une réconciliation post-conflits, prévu en trois phases et s’articulant autour de cinq piliers principaux[156]. Il prend en compte tous les aspects du processus en liant la consolidation de la paix au cours de la phase de transition au développement durable. Les programmes déployés dans ce contexte comprennent l’aide humanitaire d’urgence ; la réhabilitation et/ou la reconstruction des infrastructures physiques ; la prestation de services sociaux telle que l’éducation, la santé et la protection sociale ; l’amélioration de la croissance et du développement économiques par l’intermédiaire de la création d’emplois, du commerce et de l’investissement, ainsi que des réformes dans le secteur de la réglementation[157]. Depuis l’adoption de ce cadre politique, l’Union africaine n’a cessé de déployer des efforts soutenus pour assurer sa mise en œuvre. Il en va ainsi des missions d’évaluation multidisciplinaires de la Commission de l’UA dans les pays sortant de conflit. Ces missions ont été entreprises en République centrafricaine (RCA) en avril 2006, en Sierra Léone et au Libéria en février 2009, en République démocratique du Congo (RDC) et au Burundi en janvier-février 2010, au Soudan en mars-avril 2011 et en Côte d’Ivoire en novembre 2011[158]. Ces missions ont fait des recommandations détaillées sur la meilleure façon pour l’UA et ses États membres, d’aider les pays concernés dans le domaine de la reconstruction post-conflit.
Ce faisant, le processus intégral de reconstruction post-conflit, à partir de la phase d’urgence au redressement et au développement, est complexe et va bien au-delà des capacités d’une unique institution, y compris les gouvernements, quelles que soient leurs bonnes intentions. Pour ces raisons, il y a lieu de forger des partenariats qui engageront tous les acteurs pertinents, dont les gouvernements, la Commission de consolidation de la paix de l’ONU[159], les organisations humanitaires (tant internationales que nationales), la société civile africaine, l’armée dans certaines situations, le secteur privé, la communauté internationale des bailleurs de fonds[160], ainsi que la population affectée elle-même. Pour qu’il soit efficace, il faut que les partenariats soient conçus de sorte à appuyer et compléter les efforts nationaux, qui répondent et s’adaptent aux réalités sur le terrain. C’est uniquement en se conformant à l’ensemble des conditions ci-dessus énoncées que l’assistance à la reconstruction et le développement socio-économique des États en transition post-conflit pourraient contribuer à prévenir efficacement les causes potentielles des déplacements forcés en Afrique.
Outre cette assistance à la reconstruction, le recours à la justice transitionnelle pourrait aussi servir d’outil à la prévention des situations de déracinement forcé en Afrique en posant les jalons d’une réconciliation et d’une paix pérenne au sein des États sortant du conflit.
B. L’apport certain de la justice transitionnelle dans le processus de réconciliation et de reconstruction post-conflit
Lorsqu’une transition politique se met en place au sortir d’une période de conflit ou de violence généralisée, la société est souvent confrontée à l’héritage difficile des violations des droits de l’homme. Afin d’encourager la justice, la consolidation pérenne de la paix et la réconciliation, les gouvernements et les défenseurs des droits de l’homme peuvent envisager des réponses à la fois judiciaires et non judiciaires aux violations des droits humains. Cela s’explique par le fait que les principes[161] gouvernant la justice transitionnelle sont à l’image de sa nature hybride. En effet, son caractère répressif se fonde sur la fonction principale du droit pénal. Cette fonction met en évidence la « nécessité de punir et de sanctionner dans les limites légales tout auteur de crime, dans l’intérêt général, les comportements dangereux à l’ordre public et contraires aux exigences de la vie en société »[162].
Dans le cadre de la reconstruction post-conflit, la prévention des causes des déplacements forcés en Afrique pourrait donc exiger la poursuite pénale des individus responsables ainsi que l’indemnisation des victimes des conflits[163]. À ce titre, la création de juridictions pénales internationalisées, comme les Tribunaux spéciaux pour l’ex‑Yougoslavie[164] et le Rwanda[165] ainsi que la récente Cour pénale internationale, peut permettre d’envisager un processus de reconstruction ne laissant pas s’exercer, post-facto, une « justice de vainqueurs » qui risquerait de méconnaître les droits de la défense (victimes) et les garanties d’un procès équitable[166].
L’autre facette de cette justice, quelque peu contradictoire avec la précédente, dite aussi justice « restauratrice », fait appel à des mesures parajudiciaires devant permettre néanmoins de faire la lumière sur les violations du passé et de prendre en compte les victimes à travers les réparations à elles octroyées. Dès lors, elle est censée agir directement sur les deux protagonistes de la violation sans passer par un règlement judiciaire, avec une forte propension à pallier l’improbabilité de poursuites pénales massives. Il en est ainsi du développement contemporain de nouvelles conceptions de la justice transitionnelle — dont les différentes « Commissions vérité et réconciliation » (CVR) — illustre, dans une large mesure, la volonté d’une reconstruction qui fasse, à la fois, œuvre de justice et « d’expiation »[167].
Pour nous en tenir ici qu’à la seule dimension réparatrice de la justice transitionnelle, si la prédominance des commissions vérité et réconciliation peut être souhaitée pour prévenir les causes des déplacements forcés en Afrique dans le cadre de la reconstruction post-conflit (1), on doit cependant récuser toutes les autres formes d’alternative à la coercition justifiant l’impunité, dont les mesures d’amnistie qui apparaissent comme telles (2).
« Les commissions vérité sont un organe officiel et temporaire mis en place pour enquêter sur une période passée d’atteintes aux droits de l’homme et au droit humanitaire. Après avoir recueilli les déclarations de victimes, de témoins et d’autres personnes, une commission vérité publie un rapport final qui est généralement rendu public et qui devient la reconnaissance officielle de ce qui avait souvent été auparavant nié ou mal compris »[168]. Ce sont donc des organes temporaires, extrajudiciaires et qui bénéficient d’une indépendance de jure. Elles sont moins destinées à rendre la justice qu’à contribuer à l’établissement de la vérité en décryptant le « pourquoi » et le « comment » en est-on arrivé là. Elles peuvent faciliter ultérieurement l’œuvre de justice, mais tel n’est pas leur but principal. Il s’agit plus de faire un rapport pour la mémoire que pour la justice.
Autrement, pour qu’un organe soit appelé commission de vérité, il doit répondre à des caractéristiques très spécifiques. Il doit être un organe d’enquête émanant des autorités publiques[169] et ne doit pas avoir pour objectif de se concentrer sur des cas individuels, mais plutôt d’esquisser un schéma global des violations des droits humains. Dans cette optique, il doit mettre en lumière, en toute impartialité, les violations des droits humains perpétrées pendant la guerre civile[170] et faire un rapport historique du conflit. Ce rapport doit contenir des recommandations sur la façon dont doit être traitée l’héritage d’un passé sombre et comment éviter les conflits et les crimes similaires dans le futur[171].
Ainsi, les commissions vérités se concentrent sur le passé, sur les violations des droits de l’homme. Dans une condition optimale, elles établissent la vérité sur la nature et l’ampleur des atteintes aux droits de l’homme commises dans le passé. Elles encouragent l’établissement des responsabilités pour les auteurs de crimes en recueillant et en conservant les preuves, en identifiant publiquement les responsables. Les commissions vérités fournissent aussi une tribune publique aux victimes afin qu’elles puissent raconter leurs histoires personnelles directement devant la nation dans le dessein de garantir un futur meilleur. Ces actions visent à cultiver la réconciliation et la tolérance au niveau individuel, national et servir de protection contre les récits des événements passés[172]. En somme, les commissions de vérité sont donc orientées vers les victimes.
Dans le cadre de la reconstruction post-conflit, ces commissions vérités peuvent contribuer à prévenir les causes susceptibles de mener à des déplacements forcés de population en Afrique à plusieurs égards. D’abord, en établissant la vérité sur la nature et l’ampleur des atteintes aux droits de l’homme commises dans le passé, ces commissions de vérité peuvent permettre de répondre aux besoins des victimes, de promouvoir la guérison et la réconciliation et de prévenir une répétition des violations et des abus subis. De plus, en tant que processus extrajudiciaire, ces commissions peuvent aussi contribuer à prévenir les causes des déplacements forcés, en complétant ou se substituant selon les contextes à des poursuites pénales d’auteurs présumés de violations pouvant donner lieu à des déplacements forcés de population. Dans ce sens, elles peuvent compléter les travaux des juridictions pénales en promouvant la responsabilité des coupables de violation des droits de l’homme à travers l’organisation et la conservation des preuves. Elles peuvent aussi recommander des formes de responsabilité non privative de liberté, telles que la responsabilité civile, la révocation, la restitution, ou encore l’exécution de travaux d’intérêt général[173]. Elles peuvent également recommander des formes de réparation aux victimes en faisant par exemple la promotion de la réparation des violations passées et des dommages psychologiques, physiques et économiques perdurant, et établir à cet effet des définitions et catégories de « victimes » justes et utiles[174].
Enfin, elles peuvent également suggérer le droit aux garanties de non-répétition et aux réformes institutionnelles. Ce droit aux garanties de non-répétition des violations graves des droits de l’homme peut se traduire par « plus jamais ça ». Il implique l’obligation pour les États de faire en sorte que les victimes ne subissent de nouveau les violations de leurs droits, de garantir que ce qui s’est passé ne se reproduise jamais. Assimilé parfois au droit à réparation[175], le droit aux garanties de non-répétition se traduit par la mise en œuvre d’un ensemble de réformes institutionnelles et de mesures permettant de garantir le respect de l’État de droit, des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de rétablir ou de restaurer la confiance de la population dans ses institutions publiques. Ceci inclut notamment la mise à l’écart des auteurs de violations des droits de l’homme, l’instauration de mesures de lutte contre l’impunité telles que la dissolution des groupements armés non étatiques, ainsi que la démobilisation, le désarmement ou la réintégration sociale des enfants-soldats qui ont été associés aux hostilités.
À l’instar des commissions de vérité, une autre alternative à la justice punitive peut également contribuer sous certaines conditions, à prévenir la résurgence des conflits et donc participer à la prévention des causes des déplacements forcés de populations en Afrique dans les situations post-conflits. Il s’agit de l’amnistie qu’il convient d’analyser à présent.
Il est très rare d’exclure complètement toute forme de justice punitive d’un système judiciaire. Cependant, si la justice « punitive » semble une solution trop dangereuse ou difficile, différentes alternatives sont valables. La plus controversée d’entre elles, qualifiée de « thème le plus émotionnel de la justice transitionnelle » par le professeur Marek Safjan[176], est l’amnistie. La première amnistie, celle de Thrasybule, remonte à l’an 403 avant Jésus-Christ. Cet homme, rentré d’exil pour chasser les trente tyrans d’Athènes et rétablir la démocratie dans sa cité, proposa à l’assemblée des citoyens de voter une loi pour consacrer l’oubli des divisions antérieures. La loi de Thrasybule donne à la notion d’amnistie son caractère d’oubli volontaire, puisqu’institué. Ainsi appréhendée, cette loi est, a priori, conforme à l’étymologie même du terme amnistie[177].
Pour Stéphane Gacon, « l’amnistie est un processus juridique surprenant par l’effet radical qu’il impose : on oublie tout, rien ne s’est passé »[178]. Par l’effet de l’amnistie, l’événement, réputé comme n’ayant jamais eu lieu, emporte effacement de l’infraction, arrêt des poursuites et extinction de la peine quelle que soit la gravité des faits reprochés à leurs auteurs. Au regard de la pratique contemporaine de cette mesure, il convient désormais d’associer à l’idée d’oubli contenu initialement dans l’étymologie même du terme « amnistie », celle de pardon[179].
Sous ce rapport, les amnisties constituent une question clé de la justice transitionnelle. Généralement présentées comme des mesures exceptionnelles destinées à répondre à un événement ou à une période extraordinaire, celles-ci tendent à être justifiées par le rôle qui leur est attribué dans la réconciliation. Lorsqu’elles sont décrétées de bonne foi et ne sont pas des « amnisties générales » accordant l’immunité à tous les criminels pour tous les crimes, elles peuvent jouer un rôle important pour la construction et la stabilisation de la paix (a). Toutefois, quand elles sont appliquées pour des motifs politiques et ne sont pas strictement mises au service de la paix, de la stabilité, de l’État de droit, elles peuvent être considérées comme inacceptables en droit international et avoir des conséquences indésirables (b), et donc desservir l’objectif de prévention des causes induisant les déplacements forcés.
L’amnistie en tant que mécanisme juridique ad hoc a pour fonction première de mettre un terme à la perspective et/ ou aux conséquences d’une procédure judiciaire à l’encontre d’une catégorie désignée de personnes pour une catégorie désignée d’infractions. Elle adopte diverses formes. La forme particulière qu’elle revêt dépend à la fois de la manière dont elle est décidée et de l’éventail de criminels et de crimes qu’elle indemnise. Il en est ainsi de l’amnistie réelle qui correspond le plus souvent à celle qui est accordée en considération de la nature de l’infraction commise et de l’amnistie personnelle qui elle, est décidée en considération de la personne de l’infraction. Par exemple, des amnisties ont pu être accordées à certains coupables de violations flagrantes des droits de l’homme.
Si depuis la Seconde Guerre mondiale, les horribles violations des droits de l’homme ont fait de la lutte contre l’impunité une préoccupation universelle, les autorités choisissent pourtant d’accorder l’amnistie à des individus responsables d’effroyables violations. Elles estiment souvent qu’un tel procédé constitue l’unique moyen d’empêcher une résurgence du conflit et d’aider leur société à opérer une transition stable du conflit à la paix. Dans ce sens, l’octroi d’amnisties à certaines personnes coupables de violations graves des droits de l’homme est donc parfois perçu comme la seule alternative à la reprise d’un conflit. À l’origine, l’amnistie a été conçue comme une mesure de clémence[180]. L’objectif était d’encourager un geste de réconciliation devant contribuer à rétablir le cours normal de la vie dans des communautés qui ont été divisées par un conflit. En effet, l’amnistie est une démarche d’apaisement qu’envisagent souvent les pays ayant souffert de longues périodes de troubles et se trouvant confrontés à la problématique de la gestion du passé. Dans leur quête de paix et de réconciliation nationale, ces pays en transition post-conflit doivent se soumettre à des compromis douloureux, dont une forme de justice de transition prévoyant l’amnistie. Ce compromis est d’autant plus nécessaire lorsque l’issue du conflit ne dégage ni vainqueur ni vaincu et passe par des négociations. À l’occasion de ces situations, un arrangement est obtenu entre les deux parties sous forme d’un deal troquant les « poursuites judiciaires » pour le « partage du pouvoir » et la « justice » pour la « paix »[181]. Tel a été le cas au Mozambique où le parlement de ce pays a adopté une loi d’amnistie générale pour les « crimes contre l’État » dix jours après la signature de l’accord de paix de 1992 qui a mis fin à seize années de conflit armé. Dans ce cas-ci, comme le souligne à juste titre Carolyn Bull, la « réconciliation » a été placée au centre de la transition vers un nouvel ordre politique et peu de place a été donnée à la recherche des responsabilités criminelles[182].
Ce faisant, les personnes bénéficiant d’une loi d’amnistie ne pourront ni être poursuivies, ni condamnées pour les faits qui leur sont reprochés[183], car les amnisties peuvent aider la société à tourner la page, elles rapprochent les individus et constituent la seule voie possible lorsque l’appareil judiciaire est dans l’incapacité de juger des exactions trop nombreuses[184]. En l’espèce, l’amnistie apparaît donc comme une mesure de conciliation sociale. Elle appelle au pardon général comme moyen de parvenir à la réconciliation nationale, à la paix durable, à la reconstruction post-conflit. Ce pardon offre à la société l’opportunité non pas d’oublier définitivement ce qui s’est passé, mais de permettre, d’une part, à la victime de retrouver sa dignité et, d’autre part, à l’auteur présumé d’être réintégré dans la communauté. Le célèbre ouvrage de Desmond Tutu (Président de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud) intitulé « Il n’y a pas d’avenir sans pardon »[185], souligne bien le lien entre mémoire et pardon. On peut y lire et y apprendre la leçon suivante, qui concerne aussi les générations futures : « Pour que nous ne répétions ce qui est arrivé à d’autres, nous devons posséder une mémoire […]. Nous devons tout faire pour que les gens se rappellent à toute occasion le coût de leur liberté pour ne rien déprécier, se rappeler les angoisses qu’ils ont traversées pour ne jamais les infliger à quiconque. Il faut que nous nous souvenions si nous voulons être humains ».
En tout état de cause, pour que l’amnistie puisse participer à éviter la résurgence des conflits et contribuer à prévenir les causes des déplacements forcés de populations en Afrique, celle-ci ne doit pas être décidée dans des cas généraux. Elle doit être conditionnelle et limitée aux situations individuelles comme ce fut le cas en Afrique du Sud[186]. De même, elle doit porter sur les seules catégories de crimes qui sont constitutives de crimes nationaux, tels que ceux qui sont directement liés au fait de « rébellion », comme la trahison, la sédition, ou le fait d’être membre d’une organisation illégale[187]. Dans le cas contraire, ces amnisties pourraient servir de paravent à l’impunité qu’il convient de rejeter avec la dernière énergie.
Ces dernières années, le débat sur les droits de l’homme a eu tendance à écarter la possibilité d’amnisties en tant que moyen de règlement politique et à mettre plus l’accent sur la recherche des responsabilités pour les exactions commises. Les lois d’amnisties sont de plus en plus remises en cause, ce qui conduit progressivement à leur suppression, voire à leur abolition, c’est-à-dire l’annulation des effets de leur application antérieure. Pour rappel, une réconciliation peut être gravement mise en cause si le cercle vicieux de l’impunité n’est pas brisé[188]. L’immunité, on le sait, est une variante de l’impunité. Elle se fonde sur la pratique internationale assurant une protection, notamment aux chefs d’État, contre les poursuites. Dans certains cas, l’instauration de la paix en est facilitée lorsque les chefs de mouvements rebelles obtiennent, par le biais de la législation nationale, une immunité provisionnelle et limitée. Les sources les plus courantes d’impunité sont les lois d’amnistie. Ces lois peuvent concerner des personnes particulières ou toute personne ayant commis des crimes dans une période bien déterminée, notamment à l’occasion d’une guerre ou d’une dictature.
En l’espèce, ce n’est pas tellement l’amnistie en tant que telle qui est mise en cause, mais plutôt la manière et les raisons pour lesquelles elle est utilisée. En effet, le choix entre amnistie et poursuites pose très souvent un dilemme pour les pays qui veulent sortir d’un conflit par la voie des négociations : d’une part, seule l’amnistie peut parfois convaincre les combattants à déposer les armes et donc établir la paix ; d’autre part, laisser les crimes les plus graves impunis peut donner lieu à des actes de vengeance et donc à une résurgence du conflit, même par-delà des générations. En plus, l’amnistie ne tient compte que des combattants et de leurs vœux, tandis que les intérêts des victimes (connaître la vérité, retrouver leur dignité, recevoir une réparation, obtenir une reconnaissance de leur souffrance et une prise de responsabilité de la part des auteurs des crimes) sont ignorés.
Ainsi, l’amnistie en tant que mesure qui ôte par exemple aux crimes internationaux leur caractère délictueux sanctionné par la loi, est lourde de conséquences puisqu’elle accorde au bourreau une irresponsabilité totale. Par l’effet de l’amnistie, l’action pénale qui devait servir à traduire ce dernier en justice s’en trouve éteinte. Dans ce sens, en considérant les comportements incriminés comme des faits licites, cette mesure ruine totalement la probabilité de leur sanction en les soustrayant du domaine d’exercice de l’action pénale, laquelle aurait pu aboutir à une condamnation des coupables. Or c’est l’illicéité des comportements criminels qui justifie qu’ils puissent être poursuivis et sanctionnés. Aussi l’amnistie ne devrait-elle pas légaliser les crimes commis pour ne pas saper l’ordre légal préétabli. En cela, son application ne devrait pas s’effectuer au détriment du droit. D’ailleurs, certaines conventions internationales, dont les quatre Conventions de Genève de 1949, obligent les États à poursuivre et punir les auteurs des crimes relevant de leur champ d’application, notamment les crimes de guerre. Accorder une amnistie pour ce type de crimes serait donc en contradiction avec les obligations de l’État et le droit coutumier international émergeant en cette matière[189].
Le Rapport du Secrétaire général des Nations unies sur le Rétablissement de l’État de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit de 2004[190], confirme cette évolution de l’impunité et de l’amnistie vers le respect de l’État de droit et la justice. Il recommande en somme que lors des négociations de paix, aucune amnistie ne soit accordée pour les crimes mentionnés et qu’une amnistie ne puisse empêcher des poursuites devant une Cour créée ou assistée par les Nations unies. La loi d’amnistie n’exclut donc pas que les auteurs des crimes internationaux puissent être poursuivis devant la justice internationale. Dans le même sens, le Centre international pour la justice transitionnelle (CIJT) estime que les amnisties sont considérées comme indésirables, car elles portent atteinte au droit des victimes à réparation, déstabilisent l’État de droit en permettant aux auteurs d’atteinte aux droits de l’homme d’échapper à leurs responsabilités, et amoindrissent la dissuasion en donnant l’impression que des crimes graves peuvent être commis en toute impunité[191].
A contrario, par la condamnation, l’auteur et ses actes ont parfois été stigmatisés de façon suffisante à satisfaire les attentes tant du corps social que des victimes elles-mêmes. Ce qui importe le plus alors, « c’est que le droit soit dit et que l’ordre des valeurs soit restauré en clarifiant que le bourreau est un criminel, alors que celui ou celle qui a subi les sévices est une victime »[192]. Il découle de ce qui précède que les mesures d’amnistie constituent donc un terreau fertile à l’impunité, génèrent un esprit vindicatif et mettent en cause la primauté du droit. Ainsi entendue, l’amnistie peut tout aussi facilement devenir un obstacle à des éléments essentiels de la réconciliation tant voulus, tels que la recherche de la vérité et l’évaluation des dommages[193]. Particulièrement contestables, lorsque de graves sévices ont été infligés à certains groupes de la société, sont les amnisties totales/générales et inconditionnelles « qui compromettent toute possibilité de faire apparaître la vérité et de rendre justice, sans parler de l’octroi du pardon »[194]. Les amnisties générales ruinent en fin de compte l’espoir d’une véritable réconciliation sociale, socle important de tout processus de reconstruction post-conflit digne de ce nom. Elles ouvrent la porte aux violations les plus graves et les plus odieuses des droits de l’homme dans l’humiliation et le mépris le plus total des victimes. L’impunité devient dans ces conditions, « le linceul qui recouvre les trahisons et les crimes aberrants »[195].
Au-delà de toutes ces considérations, on peut retenir que la justice transitionnelle peut contribuer à prévenir la résurgence des conflits et servir éventuellement de moyen de lutte contre les déplacements forcés de populations en Afrique, à la seule condition qu’elle mène à une réconciliation vraie dans le cadre d’une reconstruction post-conflit de communautés ayant été longtemps déchirées par des années de conflits. Cette réconciliation doit passer par la reconnaissance des crimes commis, par le pardon, avec ou sans amnistie (cas de l’Afrique du Sud et de la Côte d’Ivoire, par exemple) et nécessairement par la justice[196].
En définitive, dans le cadre de la reconstruction post-conflit, la prévention des causes des déplacements forcés en Afrique exigerait un système qui intègre aussi bien la justice punitive que la justice réparatrice, de préférence axé sur des valeurs africaines et incluant des mécanismes africains traditionnels de prévention, de gestion et de règlement des conflits.
Éviter que ne se produisent les conditions qui forcent les populations au déplacement, protéger les victimes potentielles avant qu’elles ne soient contraintes de fuir et limiter l’impact du déplacement forcé sur les populations affectées y compris la recherche urgente de solutions durables à leur sort sont les principales mesures préventives qui mériteraient une attention prioritaire. L’expérience de par le monde a révélé que les politiques et les mesures concrètes qui se penchent de manière proactive sur ces irrégularités, encouragent la paix durable, la réconciliation et la stabilité, empêchent le développement de situations pouvant conduire au déplacement forcé lorsque de telles politiques sont privilégiées ainsi que l’appui politique, financier et institutionnel puissant.
À cette fin, il importe d’axer l’action internationale dans l’élimination des causes étant à l’origine des déplacements forcés de population. Sur ce dernier point, s’agissant de l’Afrique, les diagnostics ne manquent pas, même si la situation actuelle n’invite pas à l’optimisme. Dans son rapport sur « Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique », le Secrétaire général de l’ONU formule ses principales recommandations dans les domaines suivants : les armes et le trafic d’armes, les sanctions économiques, l’ajustement structurel, l’aide au développement, la dette et les échanges commerciaux, les pratiques commerciales internationales[197]. Il faudrait y ajouter la gouvernance démocratique, le respect des droits de l’homme et des minorités, les mécanismes de prévention des conflits à travers essentiellement la diplomatie préventive, les relations interculturelles et interethniques, ainsi que les mesures visant à promouvoir les processus de consolidation de la paix et de reconstruction des États en transition post-conflit. C’est en agissant, de façon résolue, sur cet ensemble d’éléments, et sur bien d’autres, que l’on pourra le mieux prévenir les mouvements des réfugiés et autres déplacements forcés de population. En ce sens, l’approche proactive de la problématique du déplacement forcé de population en Afrique axée dans une perspective de sécurité humaine offre l’opportunité de sortir le problème des réfugiés et des personnes déplacées d’un traitement réactif, par l’humanitaire et l’urgence, pour en envisager le fond.
Au bout du compte, l’interdisciplinarité facilitée par la sécurité humaine reste bénéfique, car elle permet d’atteindre et de protéger les droits de catégories de personnes qui restent hors du champ juridique existant, en particulier pour les déplacés internes. Cette interdépendance permet également l’amélioration de nouveaux droits de l’homme qui ne sont pas toujours garantis, même dans les États occidentaux, comme le droit au logement ou le droit au travail, prouvant ainsi la nécessaire interaction entre les différents organes de l’ONU et les institutions africaines dans le domaine des déplacements forcés de population sur ce continent. Étant donné que les tendances actuelles des déplacements forcés de population en Afrique se situent dans une dynamique de retour dans le pays d’origine ou le lieu de résidence habituelle, toute action dans le domaine des déplacements forcés qui ne s’inscrit pas dans une logique de sécurité humaine comporte le risque de perpétuer non plus un problème de réfugiés et de personnes déplacées, mais de générer une nouvelle catégorie de personnes vulnérables que représenteraient les « déracinés post-conflit » auxquels il conviendrait de définir un statut juridique en droit international.
[1] Voir Owen (T.), « The critique that doesn’t bite: A response to David Chandler’s « Human security : the dog that didn’t bark » », Security Dialogue, 2008, 39 (4), p. 447 (p. 445-453).
[2] Sur l’essai de définition de la notion de « déplacement forcé de population », voir BRONI (F. A), L’approche conceptuelle du déplacement forcé de population en Afrique subsaharienne à la lumière du droit international, Thèse de Droit public, Université de Poitiers, 2014, p. 30-35 (594 p) et COHEN (R.), « Recent Trends in Protection and Assistance for Internally Displaced People », in Hampton (J.) (Éd.), Internal Displaced People, A Global Survey, London, Earthscan, 1998, p. 5 (p. 3-9). Dans le cadre de cette présente analyse, la notion de déplacement force ne se limitera qu’à englober que trois catégories de personnes vulnérables, à savoir : les réfugiés, les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et dans ne moindre mesure, les personnes rapatriées (c’est-à-dire, les anciens réfugiés et personnes déplacées de retour dans leur pays ou lieu de résidence habituelle).
[3] Voir document (A/66/763) des Nations unies, point 26. Il faut ici préciser que ce rapport a été entériné par la résolution 66/290 relative à la suite donnée au paragraphe 143 sur la sécurité humaine du Document final du Sommet mondial de 2005 du 25 octobre 2012 (A/RES/290).
[4] Voir le Document final du Sommet mondial de 2005 (A/RES/60/1) et sa résolution 64/291 du 16 juillet 2010 sur la sécurité humaine ; rapport du Secrétaire général sur la suite donnée à la résolution 64/291 de l’Assemblée générale sur la sécurité humaine du 5 avril 2012 (A/66/763) et la résolution 66/290 relative à la suite donnée au paragraphe 143 sur la sécurité humaine du Document final du Sommet mondial de 2005 du 25 octobre 2012 (A/RES/290). Sur la définition opérationnelle du concept de sécurité humaine, voir la résolution 66/290 précitée, voir également BRONI (F. A), L’approche conceptuelle du déplacement forcé de population en Afrique subsaharienne à la lumière du droit international, op. cit., p. 25-30.
[5] Ibidem.
[6] Voir Rioux (J.‑F.) (dir.), La Sécurité humaine : une nouvelle conception des relations internationales, L’Harmattan, Paris, 2002, 368 p.
[7] Il convient de préciser ici que cette compréhension très large du concept de sécurité humaine par l’organisation panafricaine préfigure dans la Déclaration solennelle sur la politique africaine commune de défense et de sécurité (PACDS), adoptée par la Conférence des Chefs d’États et de gouvernement de l’Union lors de la session extraordinaire tenue à Syrte les 27 et 28 février 2004. À cette occasion, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement a souligné que la PACDS est basée sur « la sécurité du Continent africain sur tous les plans », et qui engloberait « aussi bien les aspects civils que militaires », voir dans ce sens la Déclaration solennelle sur la politique africaine commune de défense et de sécurité, 27-28 février 2004, Ext/Assembly/AU/3/(II), paragraphe 6 et 10, ce document est accessible sur le site internet : http://www.iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdfs/au/exec/sirtefeb04/cadspfr.pdf., page visitée le 11 juillet 2015. À noter également que la Déclaration d’engagement, en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique, des Chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine, adoptée lors du lancement solennel de celui-ci à Addis-Abeba le 25 mai 2004 précisera le sens à donner à cette position. Les Chefs d’État et de gouvernement y « [reconnaissent] que les fondements de la paix et de la sécurité en Afrique sont intimement liés au concept de sécurité humaine. En conséquence, [ils reconnaissent] leur engagement à promouvoir une vision globale de la sécurité humaine », sur ce dernier point, voir Déclaration d’engagement, en faveur de la paix et de la sécurité en Afrique, des Chefs d’États et de gouvernement des États membres du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine, 25 mai 2004, PSC/AHG/ST.(X), consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.iss.co.za/AF/RegOrg/unity_to_union/pdfs/centorg/PSC/launchcomfr.pdf, page visitée le 11 juillet 2015.
[8] Ce diagnostic a déjà été confirmé dans la plupart des recommandations, déclarations et résolutions des institutions africaines, tout particulièrement de l’OUA. Le premier est fourni par la Déclaration du Caire du 30 juin 1993 portant création d’un mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Elle énonce en termes clairs et non équivoques que : « les conflits ont contraint des millions de personnes à prendre le chemin de l’exil et à devenir des réfugiés et des personnes déplacées ». Le second est tiré des recommandations du symposium de 1994, qui analyse les facteurs internes et externes qui sous-tendent la crise. Le paragraphe 8, qui a trait aux facteurs internes, énonce que « la plupart des flux de réfugiés sont la conséquence de conflits armés et de conflits civils ». Voir dans ce sens, Degni Segui (R.), « L’action des institutions africaines en matière de réfugiés », in SFDI, Droit d’asile et des réfugiés, Actes du colloque de Caen (du 30 mai au 1er juin 1996), éd. Pedone, Paris, 1997, p. 249 (p. 229-251).
[9] À titre d’illustration, selon une étude de la Commission Carnegie pour la prévention des conflits meurtriers, la communauté internationale a consacré dans les années 1990 près de 200 milliards de dollars à la gestion des conflits dans le cadre de sept interventions majeures (Bosnie-Herzégovine, Somalie, Rwanda, Haïti, golfe Persique, Cambodge et El Salvador), mais aurait pu économiser 130 milliards de dollars si elle avait opté pour une approche préventive plus efficace. Voir dans ce sens, Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE), La responsabilité de protéger, Centre de recherche pour le développement international (CRDI), Ottawa, 2001, p. 22 ( 120 p).
[10] Annan (K.), Prévention des conflits armés : Rapport du Secrétaire général, New York, Nations unies, 2002, p. 11 (119 p).
[11] La diplomatie préventive prônée par le Secrétaire général des Nations unies est conçue comme la plus souhaitable et la plus efficace utilisation de la diplomatie dans le but « […] d’éviter que des différends ne surgissent entre les parties, d’empêcher qu’un différend existant ne se transforme en conflit ouvert et, si un conflit éclate, de faire en sorte qu’il s’étende le moins possible », voir Boutros-Ghali (B.), Agenda pour la paix, 2e éd. New York, Nations unies, 1995, p. 48 (174 p). Cette définition est très large, car ainsi la diplomatie préventive vise non seulement d’empêcher l’éclatement d’un conflit, mais à prévenir la naissance même d’un différend. Le concept plus récent de consolidation de la paix promu par M. Boutros Boutros‑Ghali dans son rapport Agenda pour la paix, englobe également des mécanismes pratiques susceptibles de contribuer à la prévention des conflits armés (et partant des déplacements forcés) dans un contexte de reconstruction post‑conflit. Nous reviendrons sur ce second concept dans la seconde partie de cette présente analyse.
[12] Ibid., p. 50.
[13] Ibid., p. 14.
[14] À ce jour, la qualité des renseignements est variable et la coordination entre ces diverses entités est rudimentaire, sinon inexistante. Les institutions spécialisées des Nations unies et les ONG qui s’occupent de développement ont l’avantage d’être présentes au niveau des communautés de base dans les pays, mais elles n’ont souvent ni les compétences, ni les ressources humaines, ni surtout le mandat dont elles ont besoin pour fournir des renseignements précis et fiables à des fins d’alerte rapide. Cette situation peu satisfaisante est à l’origine de l’apparition d’un nouveau type d’ONG qui se consacrent exclusivement à l’alerte rapide sur les conflits. Ainsi, des organisations telles que l’International Crisis Group (ICG) surveillent des régions du monde où des conflits semblent en gestation et informent sur ce qui s’y passe ; et elles s’emploient très activement à alerter les gouvernements et les médias si elles estiment qu’une action préventive s’impose d’urgence. Leur action est complétée par les moyens de surveillance et d’établissement de rapports dont disposent des organisations internationales et nationales de défense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International (AI), Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Voir dans ce sens, CIISE, La responsabilité de protéger, op. cit., p. 24.
[15] Cf., Cassan (H.), L’ONU et la diplomatie des conflits, Séminaire à l’Institut des Hautes études internationales (HEI), Genève, semestre d’hiver 2004-2005, document inédit.
[16] Voir Commission Carnegie, La prévention des conflits meurtriers, Résumé du Rapport final, Washington DC, Commission Carnegie, 1997. Document disponible en ligne sur : http://www.unitar.org/ny/sites/unitar.org.ny/files/Carnegie%20Commission_Summary.pdf, page consultée le 21 octobre 2013.
[17] Cité par Paye (O.), in GRIP : L’ONU dans tous ses États, GRIP, coll. « GRIP‑informations », n° 24, Bruxelles, octobre 1995, p. 104 (203 p).
[18] Au sein du système des Nations unies, il appartient au Secrétaire général de déclencher l’alerte conformément au mandat spécial dont il dispose au titre de l’article 99 de la Charte, qui lui confère la prérogative d’« attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Le Conseil économique et social le peut également sur la base de l’article 65 en fournissant au Conseil de sécurité des informations sur des situations d’ordre économique et social qui risquent de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales. Dans la même veine, un État membre peut aussi attirer l’attention du Conseil sur toute situation susceptible de menacer la paix conformément à l’article 35 § 1 de la Charte.
[19] C’est à juste titre que Joao de Deus Pinheiro affirme : « Le bon sens et la sagesse, mais aussi, et en particulier, l’expérience pratique montrent clairement que les efforts déployés pour prévenir les conflits violents ont le maximum de chances de porter leurs fruits si les zones potentielles à problèmes sont identifiées et prises en charge à un stade précoce », Pinheiro (J.), Consolidation de la paix et prévention des conflits en Afrique, Bruxelles, UE, mars 1999, p. 6 (14 p).
[20] Si aujourd’hui l’institution d’une telle procédure d’alerte rapide fait encore défaut au sein de l’ONU, c’est parce qu’elle a longtemps entretenu une culture de réaction aux crises. Voir dans ce sens, Cassan (H.), L’ONU et la diplomatie des conflits, op. cit., supra note 15.
[21] D’ailleurs, le rapport du Groupe d’étude sur les opérations de paix de l’Organisation des Nations unies milite dans le sens de nos propos dans la mesure où celui-ci aussi contient des propositions très détaillées sur la mise en place d’un système d’alerte au Secrétariat de l’ONU. La Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté abonde dans le même sens lorsqu’elle approuve pleinement ces propositions, voir CIISE, La responsabilité de protéger, op. cit., p. 24.
[22] Voir Commission Carnegie, La prévention des conflits meurtriers, op. cit., supra note 16.
[23] Il ne faut pas perdre de vue ici que l’un des éléments de la définition consensuelle des États relative à la sécurité humaine, tel que prévu dans la résolution 66/290 de l’Assemblée générale de l’ONU du 25 octobre 2012 énonce : « […] e) La sécurité humaine n’est pas assurée par la menace ou l’emploi de la force ou de mesures de coercition. Elle ne saurait remplacer la sécurité que l’État doit garantir […] ». Voir dans ce sens, résolution (A/RES/290), op. cit., supra notes 3 et 4 de ce présent travail.
[24] Voir Boutros-Ghali (B.), Le Secrétaire général des Nations unies : Entre l’urgence et la durée, in Politique Étrangère n° 2, été 1996, p. 412 (p. 407-414).
[25] Propos cité par Annan (K), Éviter la guerre, prévenir les catastrophes : Le monde mis au défi, Rapport annuel sur l’activité de l’Organisation, New York, Nations unies, 1999, p. 13-14 (143 p).
[26] Annan (K.), Prévention des conflits armés…, op. cit., p. 31.
[27] Ibidem.
[28] Voir notamment le rapport du Haut-commissaire sur la situation au Darfour, Doc. ONU E/CN.4/2005/3, 7 mai 2004.
[29] Voir Cassan (H.), L’ONU et la diplomatie des conflits, op. cit., supra note 15.
[30] De façon classique, la création de zones spéciales démilitarisées ou zones de sécurité figure en principe au nombre des composantes opérationnelles de la diplomatie préventive. Cependant, nous n’évoquerons pas ces questions dans le cadre de cette présente étude. Sur ces zones de sécurité et leur incohérence en droit international, voir notamment BRONI (F. A), L’approche conceptuelle du déplacement forcé de population en Afrique subsaharienne à la lumière du droit international, op. cit., p. 370-374.
[31] Ceci ne tient pas de la simple hypothèse, dans la mesure où une menace de veto de la part de la Chine a empêché au Conseil de sécurité d’intervenir en 2006 dans la crise du Darfour soudanais. De même, dans la récente crise syrienne, les menaces récurrentes d’un véto russe ont empêché à nouveau l’organe restreint de prendre les mesures nécessaires.
[32] Certains de ces crimes sont décrits de manière plus détaillée dans le Statut que dans les instruments existants, notamment la catégorie des violences sexuelles constitutives de crimes contre l’humanité, et dont d’autres sont nouveaux, par exemple le recrutement d’enfants soldats. Même si le rôle de la CPI est perçu de façon tout autant polémique par certains pays du Sud et en particulier les États membres de l’Union africaine (comme en témoigne la toute récente volonté non assumée des États de l’UA d’un retrait massif de la CPI), il n’en demeure pas moins que la création de cette Cour reste encore à ce jour, une initiative positive dans la mesure où elle a au moins le mérite de lutter contre l’impunité. Sauf qu’il aurait mieux valu que cette lutte contre l’impunité s’élargisse à tous les continents afin de susciter un plus grand élan d’équité. Pour une appréciation critique du bilan contemporain de la CPI, voir Delmas‑Marty (M.), Sens et non-sens de l’humanisme juridique, in Annuaire du Collège de France, Cours et travaux 110e année (2009-2010), p. 743-744, disponible en ligne à l’adresse : www.college‑de‑france.fr/media/mireille‑delmas‑marty/UPL580252029222612112_delmas_marty.pdf, page consultée le 24 octobre 2013.
[33] Voir sur ce point, Frouville (O.) de, Les procédures thématiques : une contribution efficace des Nations unies à la protection des Droits de l’homme, Pedone, Paris, 1996, 139 p.
[34] Sur cette Cour et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, voir nos développements à venir dans les pages suivantes de ce présent travail.
[35] Les grandes Conventions de protection des droits de l’homme adoptées dans le cadre de l’ONU font, en effet, l’objet de procédures de suivi devant leurs Comités respectifs. En plus des deux Pactes de 1966, il s’agit de la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale du 21 décembre 1965, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979, de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, de la Convention sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990. Ces procédures peuvent varier d’un Comité à l’autre et aller de la rédaction de rapports périodiques illustrant la mise en oeuvre des dispositions des conventions concernées dans les ordres juridiques des États signataires, jusqu’à la possibilité de dépôts de plaintes individuelles émanant de ressortissants de ces mêmes États, qui se prétendraient victimes de violations de leurs droits. Pour une vision d’ensemble de ces aspects procéduraux, voir Decaux (E.) (dir.), Les Nations unies et les Droits de l’homme, Enjeux et défis d’une réforme, Pedone, Paris, 2006, 348 p.
[36] Il convient de noter que le Conseil des droits de l’homme s’est désormais substitué à la troisième Commission de l’Assemblée générale : AGNU, résolution 60/251 du 3 avril 2006. Le Conseil reprend les mécanismes instaurés par la Commission, éventuellement sous une nouvelle terminologie. Ainsi la procédure 1503 est remplacée par la nouvelle procédure d’examen de plaintes (voir Decaux (E.), Que manque-t-il aux quasi-juridictions internationales pour dire le droit ?, in Le dialogue des juges, Mélanges en l’honneur du président Bruno Genevois, Dalloz, Paris, 2009, p. 228‑232). Ce Conseil semble plus efficace que la feue Commission, car plus réactif, en se réunissant en sessions ordinaires et en sessions spéciales, moins politique, en accordant une place importante aux organisations non gouvernementales et plus impartial avec l’instauration de l’examen périodique universel qui met fin à la sélectivité dans le domaine des droits de l’homme et permet de traiter tous les États sur un pied d’égalité. Les avis sur son véritable apport sont cependant partagés. Voir dans ce sens, Eudes (M.), De la Commission au Conseil des droits de l’homme : vraie réforme ou faux‑semblant ?, AFDI, 2006, p. 599-616 ; Tardu (M.), Le nouveau Conseil des droits de l’homme aux Nations unies : décadence ou résurrection ?, RTDH, 2007, p. 967-991.
[37] ECOSOC, résolution 1503 (XLVIII) du 27 mai 1970, complétée par la résolution 2000/3 du 16 juin 2000. Sur ce point, voir Decaux (E.), Droit international public, 5e éd., Paris, Dalloz, 2006, p. 200-204 (403 p). Voir également, Mubiala (M.), La mise en œuvre du droit des réfugiés et des personnes déplacées en Afrique : Problématique et perspectives, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 80 (150 p).
[38] Voir dans ce sens, CIISE, La responsabilité de protéger, op. cit., p. 28 et 62. La FORDEPRENU a été établie le 31 mars 1995 dans l’ex-République yougoslave de Macédoine pour surveiller l’évolution de la situation dans les zones frontalières et signaler tout événement susceptible de saper la confiance et la stabilité dans cet État et menacer son territoire. Son mandat a été régulièrement prorogé pour des périodes de six mois jusqu’en mars 1999 où il a pris fin suite à un veto inattendu de la République populaire de Chine.
[39] Voir, supra note 16. Tout aussi bien, la prévention se justifie pleinement sur le plan économique et la Banque mondiale a calculé que le coût moyen d’une guerre civile équivaut à plus de 30 années de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour un pays en développement de taille moyenne. Sur ce dernier point, voir Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 2011 : Conflit, sécurité et développement, Washington, 2011.
[40] Ce mandat de l’UA à prévenir et répondre aux conflits en Afrique est défini au Protocole relatif à la création du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), qui est entré en vigueur en décembre 2003. Le Protocole, en son article 2 (1), définit le CPS comme « un système de sécurité collective et d’alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique ». Cet organe panafricain que constitue le CPS a été institué en remplacement de l’organe central du mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), dont les insuffisances étaient patentes.
[41] Voir article 12 (2) du CPS de l’UA.
[42] Article 12 (4) du CPS de l’UA.
[43] Article 12 (7) du CPS de l’UA.
[44] Les autres organes et structures de l’UA concernés étant : le Parlement panafricain, le Comité des Sages et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.
[45] Par CER, il faut entendre les Communautés économiques régionales. Les MR représentent quant à eux, les Mécanismes régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits.
[46] À ce jour, cinq autres CER sont en train de mettre en place leurs systèmes d’alerte rapide qui ne sont pas encore fonctionnels. Il s’agit de la Communauté économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
[47] Mécanisme d’alerte rapide et de réaction aux conflits de l’Autorité intergouvernementale pour le développement en Afrique de l’Est (IGAD).
[48] Système d’alerte précoce et d’intervention rapide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
[49] Dans l’article de l’Accord portant création de l’IGAD, l’un des objectifs de l’Autorité est de « promouvoir la paix et la stabilité dans la sous-région et créer des mécanismes au sein de la sous-région pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits entre les États et au sein des États par voie de dialogue ». Voir dans ce sens, Ehueni Manzan (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse pour le doctorat, Université de La Rochelle, 7 décembre 2011, p. 553 (718 p).
[50] Voir Union africaine, Système continental d’alerte rapide (SCAR), Manuel du Scar, PSD/EW/CEWS HANDBOOK, 5 mai 2008, p. 56-57.
[51] La volonté de la CEDEAO de prévenir les conflits dans sa sphère géographique s’est confirmée avec l’adoption en 2008 du Règlement MSC/REG.1/01/08 portant Cadre de Prévention des Conflits de la CEDEAO (CPCC).
[52] Cf., Cilliers (J.), « Toward a continental early warning System for Africa », in Institute for Security studies (ISS) paper, n° 102, April 2005, p. 11 (p. 1-25).
[53] Sur ce dernier point, voir Ehueni Manzan (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, op. cit., p. 549.
[54] Ainsi, l’ECOWARN et le WANEP ont conjointement développé une série d’indicateurs de conflits et de paix spécifiques au mandat et à la région CEDEAO et ils en assurent le suivi grâce à un système d’analyse et de reportage sur le terrain pour une analyse et un suivi systématiques des conflits et des tendances à la paix. Le processus d’identification et de spécification de ces indicateurs était réalisé à travers une série de consultations, de petite ou grande envergure, d’universitaires et d’experts locaux à travers la région. Il a fallu environ deux ans pour élaborer un premier projet d’un ensemble d’indicateurs fonctionnels pour couvrir un large éventail de précurseurs sociaux, politiques et économiques des conflits, de l’instabilité et des troubles. Voir dans ce sens, Voir Union africaine, Système continental d’alerte rapide (SCAR), op. cit., p. 58.
[55] Ibid., Ehueni Manzan (I.), p. 550.
[56] Union africaine, Système continental d’alerte rapide (SCAR), op. cit., p. 58.
[57] Le Panel des Sages de l’UA appuie les efforts du Conseil de paix et de sécurité, et ceux du Président de la Commission de l’UA. Il se compose de cinq personnalités africaines hautement respectées, venant de diverses couches de la société et qui ont apporté une contribution exceptionnelle à la cause de la paix, de la sécurité et du développement sur le continent. Ces personnalités sont sélectionnées par le Président de la Commission, après consultation des États membres concernés sur la base de la représentation régionale et nommées pour une période de trois ans. Ce Panel entreprend les actions jugées appropriées pour venir en appui aux efforts du Conseil et à ceux de la Commission en vue de la prévention des conflits, il peut également se prononcer sur les questions liées à la promotion et au maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique. Sur les modalités de fonctionnement du Panel des Sages, voir l’article 11 du CPS de l’UA de 2002.
[58] Conformément à l’article 10 du Protocole du CPS de l’UA, le Président de la Commission peut attirer l’attention du Conseil de Paix et de Sécurité sur toute affaire qui pourrait mettre en danger la paix, la sécurité et la stabilité du continent. Il a en outre le pouvoir, de sa propre initiative ou à la demande du CPS, d’user de ses bons offices, soit personnellement, soit par l’intermédiaire d’envoyés spéciaux, de représentants spéciaux, du Groupe des Sages ou des mécanismes régionaux pour prévenir les conflits potentiels, régler les conflits en cours et promouvoir les initiatives et les efforts de consolidation de la paix et de reconstruction post-conflit.
[59] Pour rappel, ces approches ont été récemment appliquées dans le cas de la crise post-électorale du Kenya entre 2007 et 2008 à travers les envoyés spéciaux du Président de la Commission de l’UA. On peut également citer dans le même sens, les interventions par le canal des Communautés économiques régionales, telles que la CEDEAO au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire pour désamorcer l’imminence des crises dans ces pays.
[60] Le nouveau Protocole remplace les deux protocoles établissant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, d’une part, et la Cour de justice de l’UA, d’autre part. Le nouveau Protocole et les Statuts qui y sont annexés entreront en vigueur trente jours après le dépôt des instruments de ratification par quinze États membres de l’UA. En attendant cette entrée en vigueur de la future Cour africaine de justice et des droits de l’homme, le « Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples » continuera de s’appliquer pendant une période transitoire d’un an maximum ou toute autre période décidée par l’Assemblée, après l’entrée en vigueur du nouveau Protocole. Cela, pour permettre à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples de prendre les mesures nécessaires à la cession de ses prérogatives, actifs, droits et obligations à la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
[61] Voir sur ce point, les articles 8 et 30 du Protocole portant statut de la future Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
[62] Voir Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Affaire Michelot Yogogombaye contre République du Sénégal, requête n° 001/2008, en ligne sur : http://www.rtdh.eu/pdf/yogogombaye_c_senegal.pdf, page visitée le 25 octobre 2014.
[63] À ce jour, six pays seulement ont fait une telle déclaration. Ces pays sont : le Burkina Faso, le Ghana, le Malawi, le Mali, le Rwanda et la Tanzanie. Également, jusqu’au mois de septembre 2013, la Cour n’avait reçu au total que 28 requêtes et avait déjà rendu 20 décisions. Elle avait encore sur son agenda 8 affaires à examiner, dont une demande d’avis consultatif. Voir dans ce sens, http://www.african‑court.org/fr/index.php/about‑the‑court/brief‑history, page web consultée le 25 octobre 2013.
[64] Sur ce point, on peut en effet observer que toutes les Cours des Communautés économiques régionales (CER) garantissent l’accès direct aux individus, et donc aux potentielles victimes des déplacements forcés. C’est par exemple le cas de la Cour de justice de la CEDEAO, l’East African Court of Justice (EACJ), le Tribunal de la Southern African Development Community (SADC), la Court of Justice of the Common Market of the East and Southern Africa (COMESA), et la Cour de justice de l’Union Économique et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA).
[65] Broni (F. A.), L’Union africaine et la protection des réfugiés et personnes déplacées dans le paradigme des frontières internationales, Mémoire de DEA, Université de Poitiers, 2004, p. 56 (80 p).
[66] Voir l’article 4, alinéa h de l’Acte constitutif de l’UA. Voir également l’article 13 (3) (c) du Protocole relatif à la créatif du Conseil de paix et de sécurité de l’UA.
[67] Cette posture qui a prévalu sous l’OUA tenait sans doute de l’assimilation du principe de souveraineté à l’indépendance politique ou à l’absolue puissance de l’État, voir dans ce sens, Combacau (J.) et Sur (S.), Droit international public, éd. Montchrestien 8e éd., Paris, 2008, , p. 23 (818 p).
[68] Voir UA, Feuille de route pour la mise en place de la Force africaine en attente, XP/AU-RECS/ASF/4(I), Addis-Abeba, mars 2005.
[69] À terme, la FAA doit constituer une force composée de contingents multidisciplinaires en attentes, avec des composantes civiles et militaires, stationnés dans leur pays d’origine et prêts à être déployés rapidement, aussitôt que requis. Mais des difficultés d’ordre financier, matériel, organisationnel et structurel tant au niveau de l’UA qu’au niveau des organisations sous-régionales ont entravé les capacités de l’UA à rendre la FAA opérationnelle en 2010. Les ambitions de l’ensemble du processus ont progressivement été revues à la baisse. Contrairement au plan initial, l’exercice Amani Africa organisé en 2010 n’avait plus pour objectif le caractère opérationnel de la force continentale, mais, selon les termes de l’ancien Président de la Commission de l’UA, Jean Ping, « d’évaluer et de valider les progrès accomplis à ce jour et d’identifier et redresser les insuffisances ainsi que les défauts qui doivent l’être pour continuer à développer la FAA ». Voir dans ce sens, Ping (J.), Allocution pour l’ouverture de l’exercice du poste de commandement AMANI AFRICA, Addis‑Abeba, 20 octobre 2010. Grâce au soutien financier et logistique de l’UE (à travers notamment le financement de la Facilité de paix africaine), du G8 et des Nations unies, il est désormais envisagé que la Force africaine en attente soit opérationnelle à partir de décembre 2015 prochain.
[70] Voir dans ce sens, UNHCR, Les réfugiés dans le monde. En quête des solutions, Éd. La Découverte, Paris, 1995, p. 58 (263 p).
[71] Voir Degni Segui (R.), « L’action des institutions africaines en matière de réfugiés », op. cit., p. 250.
[72] L’article 2 § 1 de la DUDH reconnaît par exemple que « chacun peut se prévaloir de tous les droits et toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
[73] UNHCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, HCR/IP/4/FRE, Genève, 1979, réédité en janvier 1992, p. 15 (67 p).
[74] Il en est ainsi du Soudan avec l’imposition de l’islam à des non musulmans et du Rwanda surtout, avec le massacre de quelques 800 000 Rwandais tutsi par des Hutu lors du génocide de 1994.
[75] Degni Segui (R.), « L’action des institutions africaines en matière de réfugiés », op. cit., p. 250.
[76] Annan (K.), Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, Rapport du Secrétaire général, New York, Nations unies, 13 avril 1998 (A/52/871‑S/1998/318), (21 p). Le symposium de l’OUA de 1994 abondait déjà dans le même sens lorsqu’il incluait expressément dans les causes profondes des déplacements forcés, « la monopolisation du pouvoir politique et économique, le refus de respecter la démocratie ou les résultats d’élections libres et équitables, la résistance à la participation populaire à la gestion des affaires publiques et les lacunes de cette gestion », id., Degni Segui (R.).
[77] Traduction possible : « Le risque de guerre civile est en effet peu élevé dans les pays démocratiques et stables. Mais les pays au gouvernement partiellement démocratique et autoritaire sont plus enclins à la guerre civile que toutes les autres démocraties ou autocraties ».Voir Human Security Centre, Human Security Report 2005 : War and Peace in the 21st Century, Rapport consultable en ligne sur : http://www.humansecurityreport.Info, page visitée le 15 juin 2015.
[78] Adopté par les pays africains à Abuja en octobre 2001 et endossé par la première Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine à Durban (Afrique du Sud) en juillet 2002, le NEPAD a pour objectif de « favoriser une croissance accélérée et un développement durable ; d’éradiquer la pauvreté généralisée et profonde ; et d’arrêter la marginalisation de l’Afrique dans le processus de mondialisation ». Voir dans ce sens, « Le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) en bref », p. 2 (8 p), consultable en ligne sur : www.nepad.org.
[79] Certains aspects de la démocratie ont, depuis longtemps, acquis le statut de droits fondamentaux, spécialement dans la catégorie des droits civils et politiques. Il en va ainsi de la participation à la gestion des affaires publiques (voir les articles 13 de la Charte ADHP, 23 de la Convention américaine des droits de l’homme, et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques). C’est le cas également des libertés d’opinion et d’expression qui sont, entre autres, reconnues par pratiquement tous les traités internationaux relatifs aux droits humains (du moins ceux traitant des droits civils et politiques). Voir sur ce dernier point, les articles 9 de la Charte ADHP, 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 13 de la Convention américaine des droits de l’homme.
[80] Chapitre VIII (articles 25-28) de la Charte. La constitution étant l’instrument par lequel le peuple souverain délègue le pouvoir à des élus, prescrit comment cette délégation se fait, et indique comment le pouvoir ainsi délégué doit s’exercer, accéder au pouvoir ou l’exercer en violant la constitution ne peut qu’être contraire à la volonté du peuple et, ce faisant, antidémocratique.
[81] Article 2 (9) de la Charte. La corruption gangrène les valeurs démocratiques en affectant l’intégrité de l’expression de la volonté populaire, en faisant prévaloir les intérêts particuliers des individus, des élus ou ceux des groupes de pression sur l’intérêt de la nation, et en neutralisant les sacro-saints principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Voir dans ce sens, le discours inaugural de Guy De Vel, prononcé à l’ouverture de la conférence Octopus Interface sur le thème « Corruption et démocratie », cité par Ngarhodjim (N.), La Charte africaine de la démocratie, des élections et la de la gouvernance : une analyse critique, Open Society Institute, mai 2007, p. 4, document disponible en ligne sur : http://www.afrimap.org/english/images/paper/ACDEGCritique_Ngarhodjim.pdf, page consultée le 25 juin 2015.
[82] Sur l’équilibre des genres, voir les articles 3 (6) et 31 de la Charte. Sur les minorités et les couches vulnérables, voir l’article 33 de la Charte. Dans tous les cas, il ne peut y avoir de démocratie lorsqu’on tient une partie du peuple (les femmes, les minorités) à l’écart de la prise des décisions. Sur ce dernier point, voir Kethusegile‑Juru (B. M.), « Intra-party Democracy and the Inclusion of Women », disponible en ligne à l’adresse suivante : www.eisa.org.za/pdf/Conference_DRC_Juru_eng.pdf, page consultée le 25 juin 2015.
[83] Article 16 (1) de la Charte. En somme, le rôle des forces armées est d’assurer la sécurité et de défendre l’indépendance et l’intégrité territoriale et, pour ce faire, elles doivent demeurer politiquement neutres. Il ne leur appartient donc pas d’imposer des choix politiques au peuple souverain. Voir dans ce sens, Huntington (S. P.), The Soldier and the State : The Theory and Politics of Civil‑Military Relations, Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts, 1957 (534 p).
[84] Ibid., Ngarhodjim (N.), p. 5 et ss. Du point de vue de sa substance, si l’on s’est réjoui plus haut de ce que la Charte africaine de la démocratie soit imprégnée des réalités politiques africaines contemporaines, force est cependant de constater que beaucoup de sujets, et non des moindres, ont été soit éludés soit traités de façon assez superficielle ou d’une manière qui cache mal la volonté de certains leaders africains d’en faire un moyen pour renforcer les pouvoirs en place plutôt qu’un instrument tendant à consolider la démocratie en Afrique avec la possibilité d’aboutir à une alternance politique. D’abord, la Charte traite abondamment la question du changement anticonstitutionnel de gouvernement. Elle condamne la prise du pouvoir par des moyens non constitutionnels et prévoit des garde-fous sous la forme de sanctions tant à l’égard d’auteurs de (tentative de) prise de pouvoir par de tels moyens (article 16 (2) et (3)) que contre les gouvernements issus de ces changements (voir les articles 25 à 28). Il est vrai que le changement anticonstitutionnel de gouvernement a été pendant longtemps (et est encore dans une certaine mesure) l’une des caractéristiques majeures de la vie politique dans certains pays africains. Il est aussi vrai qu’il est contraire aux principes de la démocratie de changer un gouvernement élu par d’autres moyens que par la consultation du peuple souverain. Toutefois, le respect de l’ordre constitutionnel ne peut servir la démocratie que si deux autres conditions sont réunies : que la Constitution soit démocratique et qu’elle ne soit pas manipulée par le gouvernement en place pour se maintenir au pouvoir. Relativement à la première condition, le péché de la Charte est de faire trop vite et entièrement confiance à la Constitution sans définir ce qu’elle doit signifier ni quelles sont ses caractéristiques fondamentales, à telle enseigne que la Constitution peut être n’importe quoi à condition qu’on l’appelle ainsi. En ce qui concerne la manipulation de la Constitution par le gouvernement en place, dans la plupart des pays africains, il suffit que le gouvernement dispose d’une majorité qualifiée au parlement pour rester indéfiniment au pouvoir en modifiant la Constitution pour en désactiver le mécanisme de limitation des mandats. Ensuite, concernant le nombre des mandats, au vu de la pratique en Afrique où de nombreux chefs d’État ont modifié la Constitution pour se maintenir au pouvoir, l’on aurait attendu légitimement de la Charte africaine de la démocratie qu’elle opte clairement pour une limitation du nombre des mandats présidentiels successifs. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le mot « mandat » est pratiquement absent du texte. Or, il est unanimement admis aujourd’hui que la modification ou la tentative de modification de la loi fondamentale pour se maintenir au pouvoir en Afrique a souvent été source de crises politiques graves voire de tensions militaires et par conséquent, source de déplacements forcés de population. En fin de compte, le meilleur moyen de garantir la paix et la stabilité en Afrique ne résiderait-il pas dans le strict respect des Constitutions que les peuples africains se sont librement données ?
[85] Le Mécanisme Africain d’Évaluation des Pairs s’articule autour de deux points : la gouvernance politique (les systèmes politiques, les processus électoraux, la participation électorale) et la gouvernance économique et d’entreprise (le management macro-économique, la responsabilité des gestionnaires, les autorités de régulation et de supervision). Voir dans ce sens, Kokoroko (D.), Contribution à l’étude de l’observation internationale des élections, Thèse droit public, Université de Poitiers, 17 mars 2005, p. 329 (551 p).
[86] L’adhésion d’un État au « Mécanisme » est conditionnée par l’acceptation de la Déclaration de Durban ; elle emporte l’obligation de se soumettre périodiquement à l’évaluation des pairs et de la faciliter, d’être guidé par les paramètres convenus de bonne gouvernance politique et économique contenus dans ladite Déclaration, voir Kokoroko (D.), Contribution à l’étude de l’observation internationale des élections, op. cit., p. 330.
[87] Voir www.nepad.org, page consultée le 25 juin 2015.
[88] Cette procédure a trois étapes, commençant par une auto‐évaluation, suivie par des missions d’examen par des pays pairs, et se terminant par la mise en œuvre du Programme national d’action.
[89] Sindjoun (L.), « La Révolution du « Mécanisme » d’évaluation des pairs », Les Cahiers de l’Afrique, n° 1, 2003, p. 67-74.
[90] Annan (K.), Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, op. cit., § 79.
[91] Voir Human Security Centre, op. cit., supra note 77. Traduction possible : « La pauvreté est liée à la faible puissance de l’État. Plus il est pauvre et moins il est puissant, le risque de guerre est plus élevé ».
[92] Voir dans ce sens, CIISE, La responsabilité de protéger, op. cit., p. 26.
[93] Voir le Plan d’action sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté adopté par le Sommet extraordinaire de l’Union africaine à Ouagadougou (Burkina Faso) du 3 au 9 septembre 2004 (EXT/ASSEMBLY/AU4 (III)). Ce Document est disponible en ligne à l’adresse : http://www.ilo.org/public/french/region/afpro/addisababa/pdf/planofaction.pdf, page consultée le 25 juin 2015.
[94] Voir Commission économique de l’Afrique (CEA), Rapport économique sur l’Afrique 2008 : l’Afrique et le Consensus de Monterrey — performances et progrès du continent, 2008. En 2013, alors que l’Europe reste à une croissance de 0 %, l’Afrique émargera pour 4,8 % cette année et 5,1 % en 2014, voir Rapport CEA 2013 cité par : http://www.lesafriques.com/dossier/l‑afrique‑en‑2013‑des‑chiffres‑surprenants‑2.html ?Itemid=308 ?articleid=38746/.
[95] Dans le cadre du schéma directeur du Nepad, beaucoup de pays africains ont mis en œuvre des réformes macroéconomiques et microéconomiques qui ont eu comme conséquence, une amélioration générale du climat des affaires et des investissements, augmentant ainsi en 2007 la valeur des exportations africaines des biens et des services de 15,2 % et les importations ont connu une hausse de 13,2 %. Voir dans ce sens, CEA, Rapport économique 2007 : accélérer le développement de l’Afrique par la diversification, 2007.
[96] Voir Banque mondiale, Indice de développement mondial, 2008.
[97] L’UA a déterminé, à travers le NEPAD, les secteurs prioritaires dans lesquels les États, les CER ainsi que les partenaires de développements devraient engager des actions concrètes pour permettre à l’Afrique de bénéficier d’un développement durable. C’est ainsi qu’il a été défini des priorités d’action stratégique dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures, l’investissement, la santé, l’éducation, les échanges internationaux et la technologie. Il convient de noter que nombre de ces projets à réaliser dans les domaines sectoriels susmentionnés font intervenir les CER d’autant plus qu’il s’agit, pour la plupart des cas, des projets à dimension régionale ou sous‑régionale.
[98] Aujourd’hui encore, beaucoup de spécialistes s’accordent pour reconnaître que la politique d’aide au développement doit être réformée. Voir par exemple, OCDE, Conflits et fragilité : le financement des États en transition, vers une meilleure réponse, Éditions OCDE, Paris, 2010, p. 86‑89 (144 p).
[99] Pinheiro (J.), Consolidation de la paix et prévention des conflits en Afrique, op. cit., p. 7.
[100] L’ONU dépense actuellement 3 ou 4 fois plus pour les OMP que pour le développement. En Somalie par exemple, l’acheminement d’une aide humanitaire d’une valeur de 150 millions de $ US a coûté 2 milliards de dollars à la communauté internationale en termes de soutien militaire soit plus de dix fois plus. Voir dans ce sens, Adam (B.), Une ONU efficace exige avant tout des moyens et une volonté politique, in GRIP : L’ONU dans tous ses États, Bruxelles, éd. GRIP, Coll. GRIP-informations, 1995, p. 199.
[101] Cette démarche de contresens absolu fut notamment épinglée par Michel Rocard, voir Rocard (M.), Pistes pour une meilleure prévention, in Le Courrier, n° 168, mars-avril 1998, p. 68-69.
[102] Voir Bertrand (M.), L’ONU, 3e éd., La Découverte, Paris, 2000, p. 79 (122 p).
[103] Barry (M.), La prévention des conflits en Afrique de l’Ouest, Karthala, Paris, 1997, p. 13 (208 p).
[104] Ibid., p. 12.
[105] Voir à cet effet, le célèbre discours de Renan à la Nation française, in « Qu’est‑ce qu’une nation ? », 1887, Agora/Pocket, cité par Broni (F. A.), L’Union africaine et la protection des réfugiés et personnes déplacées dans le paradigme des frontières internationales, op. cit., p. 30.
[106] Initialement consacré sous la défunte OUA, ce principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation a été repris à l’article 4 (b) de l’Acte constitutif de l’actuelle Union africaine. Sur ce principe, voir nos développements antérieurs supra § 118 et note 198.
[107] Voir Rocard (M.), Pistes pour une meilleure prévention, op. cit., p. 68.
[108] Sur les instruments juridiques et institutionnels nécessaires à la protection des minorités nationales ou ethniques, voir l’excellente analyse de Colavitti (R.), La responsabilité de protéger : une architecture nouvelle pour le droit international des minorités, Revue Aspects, n° 2, 2008, p. 33‑50 (plus précisément p. 36‑38).
[109] En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées par des armes conventionnelles, principalement des armes légères et de petit calibre, telles que les carabines, les mitraillettes et les lance‑grenades propulsés par roquettes. La disponibilité de ces armes s’est accrue avec la fin de la Guerre froide et l’implosion de l’Union soviétique. Faciles à acheter, à transporter et à utiliser, ces armes de type militaire sont les armes de choix dans les conflits de faible intensité. Ainsi, sur les 500 millions d’armes légères et de petits calibres que l’on estime en circulation dans le monde, 100 millions se trouvent en Afrique (voir Le plan d’action pour l’Afrique de l’UA/NEPAD 2010‑2015 : promouvoir l’intégration régionale et continentale en Afrique, p. 91). De même, plus de 50 % des armes en Afrique, estimées à 8 millions en Afrique de l’Ouest seulement, ont été utilisées pour alimenter les conflits meurtriers dans cette sous‑région, comme dans le bassin du fleuve Mano, en Guinée Bissau, en Casamance et, plus récemment, en Côte d’Ivoire. Voir sur ce dernier point, Chaïbou (A.) et Yattara (S.), Afrique de l’Ouest : Vers une convention sur les armes légères. Du PCASED à l’ECOSAP, Bruxelles, GRIP, 2005/4, p. 5 (19 p). Voir également, Ndiaye (S.), Entre contraintes et bonnes intentions : les difficultés des organisations internationales dans le domaine du maintien de la paix. L’exemple de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en Côte d’Ivoire et ailleurs (Libéria, Sierra Leone, Guinée Bissau), de 1990 à 2003, Thèse pour le doctorat en droit, Université d’Ottawa, 2011, p. 106‑107 (428 p).
[110] Cf., Adam (B.), Armes en quête de contrôle, in Le Courrier, n° 168, op. cit., p. 73.
[111] Idem.
[112] Voir Williamson (R.), Briser le cercle vicieux : Les dilemmes moraux des transferts d’armements et de la fabrication d’armes, dans Moore (J.) (dir.), Les dilemmes moraux de l’humanitaire, traduit de l’Anglais par Leveille (D.), Gallimard, Paris, 1999, p. 341 (459 p).
[113] Ibidem, p. 332.
[114] Ndiaye (S.), Entre contraintes et bonnes intentions : les difficultés des organisations internationales dans le domaine du maintien de la paix, op. cit., p. 107.
[115] Tel est déjà le cas avec l’adoption en juin 2001 du Protocole des Nations unies contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu et munitions. Ce Protocole est le premier instrument mondial à caractère légalement contraignant qui concerne les armes légères. Sa portée est cependant limitée par le fait qu’il ne concerne que les aspects illicites, et ce dans un cadre bien précis, qui est celui de la lutte contre la criminalité transnationale organisée. La première Conférence de l’ONU sur les armes légères tenue en juillet 2001 a eu pour objectif de s’accorder sur Programme d’action en vue de prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects. Au terme de deux semaines ardues de négociations et de plusieurs années de préparation, l’adoption de ce Programme représente en elle‑même un certain succès. Toutefois, le texte adopté est faible, à cause de la pression exercée par certains États, dont les États‑Unis d’Amérique et la Chine. Une deuxième conférence générale sur les progrès accomplis depuis sept ans s’est tenue en juillet 2006. Elle s’est achevée sans parvenir à un accord sur un document final en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères. La seule réalisation concrète concerne l’adoption en 2005 par l’Assemblée générale de l’ONU d’une simple déclaration politique intitulée : « Instrument international sur le marquage, l’enregistrement et l’identification des armes illicites ». Dans la même veine, on peut également citer la stratégie conjointe Afrique-Union européenne (UE) adoptée au sommet UE-Afrique de Lisbonne en 2007. Un chapitre de cette stratégie est dédié à la paix et la sécurité. Sous cette stratégie, l’Union européenne finance un projet « Lutte contre l’accumulation illicite et le trafic d’armes à feu en Afrique » établi pour une durée de trois ans. Le projet sera mis en application sur le continent africain au sein des Communautés économiques régionales (CER), les instances régionales qui luttent contre la prolifération d’armes légères et de petit calibre (SALW) et les organisations régionales des chefs de polices (RPCO). Le projet veut rehausser des synergies au sein des gouvernements, des polices et des régions et renforcer les acteurs importants des institutions et de la société civile, parmi lesquels, les organisations africaines régionales de chefs de police et les agences de renforcement des lois par le biais d’une coopération accrue, d’échanges d’information et d’accroissement du pouvoir au sein et parmi les différentes régions d’Afrique. Sur toutes ces questions, voir Ehueni Manzan (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, op. cit., p. 418.
[116] Ces recommandations sont celles de l’Église anglicane. Elles sont formulées dans son Rapport intitulé Responsability in Arms Transfer Policy et visent le contexte national britannique. Mais elles pourraient aisément être adaptées au niveau international puisque les mêmes critères s’appliqueraient pour l’ONU (voir dans ce sens, Williamson (R.), op. cit., p. 337‑338.).
[117] Cf., Adam (B.), Armes en quête de contrôle, op. cit., p. 73.
[118] Pour nous en tenir ici qu’au seul cas de la CEDEAO, la Convention de cette sous‑région interdit les transferts d’armes légères vers et à partir des territoires des États membres ainsi que les équipements servant à leur fabrication. Elle interdit également tout transfert d’armes légères à des acteurs non étatiques, si ce transfert n’est pas autorisé par l’État membre importateur. Des critères d’exemption, pour des besoins légitimes, permettent aux États membres de déroger au principe d’interdiction. La Convention pose aussi le principe du contrôle strict de la fabrication des armes légères en réglementant les activités des fabricants locaux et en communiquant les informations sur la production à la Commission de la CEDEAO. Elle établit un certain nombre de moyens et d’instruments susceptibles de promouvoir la transparence et la confiance entre les États membres et notamment l’établissement des registres nationaux et sous-régionaux, le marquage et le traçage, le contrôle du courtage, la gestion et la sécurisation des stocks et le contrôle de la détention par les civils. Informations recueillies à partir du site du groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) : www.grip.org, page visitée le 25 novembre 2013. Voir également, Ndiaye (S.), Entre contraintes et bonnes intentions : les difficultés des organisations internationales dans le domaine du maintien de la paix, op. cit., p. 109.
[119] Toutes ces préconisations sont celles prévues par les articles 19 à 23 de la Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre mais reprises par les autres Conventions et Protocoles sous-régionaux cités plus haut. Bien évidemment, ces mesures ne sont pas encore totalement effectives dans l’ensemble de ces sous‑régions, faute pour les pays concernés de n’avoir pas encore mis en place leurs commissions nationales de lutte contre la prolifération des armes légères et notamment en raison des questions de gouvernance liées à un déficit démocratique dans ces pays. Sur les défis de la mise en œuvre effective des instruments sous‑régionaux africains de lutte contre la prolifération illicite des armes légères et de petit calibre, voir : Carlson (K.), Efficacité des mesures de contrôle des armes légères et rapports nationaux : Leçons du continent africain, in Small Arms Survey, n° 33, août 2013. Article disponible en ligne sur : http://www.smallarmssurvey.org/fileadmin/docs/H‑Research_Notes/SAS‑Research‑Note‑33‑FR.pdf, page visitée le 5 juin 2015.
[120] Voir Rapport du Secrétaire général sur la sécurité humaine, 8 mars 2010 (A/64/701), p. 15 (21 p).
[121] La différence essentielle réside dans le fait que le conflit soit tout à fait terminé ou non. Dans un tel cadre, une période de transition désigne aussi bien un laps de temps d’accalmie entre deux phases de conflits violents (cessez-le-feu, armistice, trêve…) que la période qui suit la résolution définitive du conflit (voir Rapport du groupe de travail UNDG/ECHA sur les enjeux de la transition, Working Group on Transition Issues, version finale, février 2004, p. 13 (39 p)). Le terme post‑conflit par contre contient l’idée que le conflit est bel et bien terminé (voir dans ce sens, Haroff-Tavel (M.), « La guerre a-t-elle jamais une fin ? L’action du Comité international de la Croix-Rouge lorsque les armes se taisent », in RICR, n° 851, Genève, 2003, p. 465-496). Dans le cadre de la présente analyse, on utilisera plutôt le terme « États en transition post-conflit » comme c’est le cas dans la pratique internationale contemporaine, pour désigner indistinctement ces deux situations décrites ci-dessus.
[122] Voir le Rapport du Secrétaire général des Nations unies, « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », Doc. NU A59/2005, para. 114. Dans le même sens, l’actuel Secrétaire général des Nations unies M. Ban Ki-Moon a déclaré tout récemment que : « De nombreux pays continuent de faire l’expérience de l’instabilité des années après la fin des conflits armés, avec de véritables explosions de violence. 90 % des conflits survenus entre 2000 et 2009 ont éclaté dans des pays qui avaient connu auparavant des épisodes de guerre civile », voir Centre d’actualité de l’ONU, « En dépit des progrès accomplis, d’importants défis de consolidation de la paix restent à relever », in L’édition du jour, n° PPQ/5913, 20 décembre 2012, p. 3 (p. 1‑7). Article disponible en ligne sur : http://www.un.org/french/newscentre/pdf/2012/20122012Fr.pdf, page consultée le 27 juin 2015.
[123] Dans son Agenda pour la paix de 1992, Boutros Boutros‑Ghali souligne que « la diplomatie préventive vise à régler les conflits avant que la violence n’éclate ; le rétablissement et le maintien de la paix de la paix ont pour objet de mettre fin aux conflits et de préserver la paix une fois qu’elle a été instaurée. En cas de succès, l’une et les autres débouchent sur la consolidation de la paix après les conflits, contribuant ainsi à empêcher que les actes de violence ne reprennent entre les nations et les peuples », voir dans ce sens Boutros-Ghali (B.), « Agenda pour la paix : diplomatie préventive, rétablissement de la paix et maintien de la paix », op. cit, § 21, p. 6-7. En tant que telle, la consolidation de la paix constituerait donc un ensemble d’actions dont l’objectif serait de solidifier, de stabiliser et de renforcer la paix. Bien entendu, toute consolidation, au regard de sa définition, ne peut se réaliser qu’une fois le rétablissement ou le maintien de la paix obtenus. Ces trois concepts apparaissent comme étant interdépendants les uns des autres, idée d’ailleurs confirmée par l’Agenda pour la paix. Sur la définition précise des concepts de consolidation, de rétablissement, d’imposition et de maintien de la paix, voir Hamdi (M.), Les opérations de consolidation de la paix, Thèse pour le doctorat en droit public, Université d’Angers, septembre 2009, p. 11-13 (555 p).
[124] La terminologie du processus de DDR diffère selon les cas. S’il y a consensus sur les deux « D », qui désignent le désarmement et la démobilisation des combattants, le « R » a pu être multiplié et indiquer plusieurs notions : Réintégration, mais aussi Réinsertion, ou encore Réhabilitation, Rapatriement, Réinstallation, pour former des acronymes alternatifs : il en va ainsi du processus de DDRR (Réhabilitation et Réintégration) au Libéria, ou le programme DDRRR (Rapatriement, Réinsertion et Réintégration) visant les combattants non congolais en République Démocratique du Congo. De manière générale néanmoins, le sigle DDR est le plus utilisé pour désigner Désarmement, Démobilisation et Réintégration. C’est cette dernière appellation qui fera l’objet de notre étude ici.
[125] Voir Cassan (H.), L’ONU et la diplomatie des conflits, op. cit., supra note 15.
[126] www.unddr.org, « Disarmament is the collection, documentation, control and disposal of small arms, ammunition, explosives and light and heavy weapons of combattants and often also of the civilian population », page consultée le 5 novembre 2013. Les armes à collecter sont diverses. Ce sont les armes légères constituées de pistolets automatiques, de revolvers, de fusils et carabines, de pistolets mitrailleurs, de fusils mitrailleurs. Quant à la collecte des armes lourdes ou armements, elle fait l’objet d’accords préalables entre les différentes parties. Voir dans ce sens, Ehueni Manzan (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, op. cit., p. 417.
[127] Aliou Barry (M.), « L’Afrique ne désarme pas », in Afrik.com, 8 juin 2004, article disponible en ligne sur : http://www.afrik.com/article7363.html, page web visitée le 5 mai 2015. Dans le même sens, l’échec du désarmement dans les programmes de DDR a, par exemple, contribué directement ou indirectement au déclenchement approximatif de 60 % de conflits armés des États en développement qui ont rechuté dans ces mêmes conflits depuis la fin de la Guerre froide, Voir Marshall (M.), Conflict Trends in Africa, 1946‑2004 : A Macro-Comparative Perspective, Report Prepared for the Africa Conflict Prevention Pool (ACPP), Londres, Government of the United Kingdom, octobre 2005, p. 7-8.
[128] Ehueni Manzan (I.), Les accords politiques dans la résolution des conflits armés internes en Afrique, op. cit., p. 419.
[129] Idem.
[130] www.operationspaix.net/desarmement‑demobilisation, « Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR et DDRR) », document consulté le 6 novembre 2013.
[131] Voir Spear (J.), « From political economies of war to political economies of peace: The contribution of DDR after of predation », Contemporary Security Policy, Vol. 27, Issue 1, 2006, p. 168‑189.
[132] Voir Integrated Disarmament Demobilization and Reintegration Standards.
[133] On remarquera que la définition de l’ONU distingue réinsertion et réintégration, la réinsertion faisant partie de l’étape de démobilisation et assurant sur le court terme la transition vers la réintégration. Cette dernière est en revanche définie comme un processus de long terme visant un retour durable de l’ex-combattant dans la vie civile. Une lecture combinée des documents relatifs au DDR laisse transparaître assez nettement la préférence pour la réintégration dans la pratique internationale, quoique celle-ci, constituant la dernière étape du processus, souvent négligée et moins soutenue par les acteurs internationaux, apparaisse comme le « parent pauvre » de tout le processus. Sur ce dernier point, voir Foulquie (C.), Les programmes de Désarmement, Démobilisation, Réintégration (DDR). Repenser la Réintégration dans une perspective de développement, Mémoire de recherche, Master 2 Sciences politiques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, p. 40 (165 p). Notre choix milite également en faveur de la réintégration dans le cadre de cette présente analyse.
[134] Voir Rapport du Secrétaire général de l’ONU, Désarmement, démobilisation et réintégration, A/C.5/59/31.
[135] L’échec du DDR a, par exemple, contribué directement ou indirectement au déclenchement approximatif de 60 % de conflits armés des États en développement qui ont rechuté dans ces mêmes conflits depuis la fin de la Guerre froide. Voir dans ce sens, Marshall (M.), Conflict Trends in Africa, 1946-2004: A Macro-Comparative Perspective, op. cit., p. 7-8.
[136] ONU, 50 ans de maintien de la paix, New York, Département de l’information, DPI/2004, mars 1999, p. 14 (89 p).
[137] Voir Pouligny (B.), Ils nous avaient promis la paix. Opérations de l’ONU et populations locales, Paris, Presses de Sciences Po « Académique », 2004, p. 295 (356 p).
[138] Il convient de garder à l’esprit qu’au sens de la pratique internationale, les élections constituent le nerf de la guerre dans les opérations de consolidation de la paix. Elles représentent ainsi un baromètre du succès de la consolidation de la paix. Elles sont sensées apporter deux changements à savoir : favoriser la culture du débat et du compromis politique (plutôt que des affrontements militaires) et permettre l’émergence à terme d’une classe politique entièrement éprise des vertus de la démocratie. Voir dans ce sens, Albrecht (U.), « Using Electoral Monitoring and the International War Crimes Tribunal as Tools for Conflict Resolution in Bosnia-Hercegovina », dans Marin Sopta (ed.), Bosnia‑Hercegovina : Beyond dayton, Zagreb, Croatian Center of Strategic Studies, 1997, p. 101-107.
[139] Cité dans Kühne (W.) (ed.), Winning the Peace: Concept and Lessons Learned of Post-Conflict-Peacebuilding, International Workshop, Berlin July 4-6 1996, Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), p. 89-91.
[140] De l’avis de plusieurs spécialistes, au moins la moitié de toutes les opérations récentes de consolidation de la paix fondées sur la promesse de la démocratisation, c’est-à-dire l’organisation d’élections sous l’égide de l’ONU, se sont avérées des échecs. Voir dans ce sens, Geiser (Ch.), Approches théoriques sur les conflits ethniques et les réfugiés, 1998, p. 21, document disponible en ligne sur : http://www.paixbalkans.org/contributions/geiser‑parant_bosnie.pdf, page consultée le 6 novembre 2013.
[141] Voir Paris (R.), « Peacebuilding » and the Limits of Liberal Internationalism, Toronto, Annual Meeting of ISA, March 18-22, 1997, p. 25 (41 p). L’échec de nombreuses missions de consolidation de la paix porte cet auteur à mettre en doute l’efficacité de ces missions. À titre d’exemple, il souligne que des élections trop rapides ou des mesures économiques trop drastiques ont exacerbé les tensions encore latentes et ont parfois provoqué la reprise des hostilités. Eva Bertram soulève le même problème lorsqu’elle évalue les missions de paix. Bertram (E.), « Reinventing Governments : The Promise and Perils Of United Nations Peace Bulding », Journal of Conflict Resolution, vol. 39, n° 3, septembre 1995, p. 387-418. Barbara Walter seconde cette position lorsqu’elle affirme que l’on surestime l’impact positif que peut avoir la tenue d’élections. Selon cette dernière, les réformes démocratiques s’accordent difficilement avec les conditions anarchiques et la militarisation que l’on retrouve dans les conflits intraétatiques. Sur ce dernier point, voir Walter (B.), « Designing Transactions From Violent Civil War », IGCC Policy Paper, n° 31, 1999, http://www‑igcc.usd.edu/igcc2/PolicyPapers/pp31.html#_Toc404751107, p. 11. Nous partageons pour notre part l’avis de tous ces auteurs sur les vertus exagérées des élections dans la transition démocratique.
[142] Voir dans ce sens, David (C.-P.), Genèse et développement de la consolidation de la paix : Dimensions conceptuelles et empiriques, Montréal, Chaire Téléglobe* Raoul-Dandurand-GRIPCI, Note de recherche n° 4, mai 1998, p. 25. Document également consultable en ligne sur : http://www.institutidrp.org/contributionsidrp/consolidation%20de%20la%20paix%20ch%20p%20david%201998.pdf, page visitée le 6 juin 2015.
[143] NEPAD, Cadre politique de reconstruction post-conflit en Afrique, Secrétariat du NEPAD : Programme pour la Gouvernance, la paix et la sécurité, juin 2005, p. 11 (41 p).
[144] Idem.
[145] Voir Centre d’actualité de l’ONU, « En dépit des progrès accomplis, d’importants défis de consolidation de la paix restent à relever », op. cit., p. 3.
[146] La notion de « justice transitionnelle » est un anglicisme désormais francisé, préféré à l’expression francophone de « justice de transition ». Elle est communément admise comme concept de droit international. Nous nous référerons ici à la définition de la justice transitionnelle proposée dans le « Rapport du Secrétaire général des Nations unies au Conseil de sécurité sur le Rétablissement de l’État de droit et l’administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit ». Ce rapport entend par justice transitionnelle « les divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation. Peuvent figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, des mesures pénales contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des mesures d’épuration, ou une combinaison de ces mesures ». Voir dans ce sens, ONU, The rules of law and transitional justice in conflict and post-conflict societies, Report of the Secretary General, 23 August 2004, S/2004/616, para. 8, p. 7 (24 p).
[147] UNHCR, Consultations mondiales sur la protection internationale : Protection des réfugiés lors d’afflux massifs. Cadre général de protection, Doc. NU EC/GC/O1/4 (2000), § 12.
[148] Chimni (B. S.), « From Resettlement to Involuntary Repatriation: Toward a Critical History of Durable Solutions to Refugee Problems », Refugee Survey Quaterly, Vol. 23, n° 3, 2004, p. 68 (p. 55-73).
[149] Citons par exemple, les programmes d’aide à la réintégration et à la consolidation de la paix au Liberia, en Ouganda et au Soudan, lesquels ont récemment connu d’importantes difficultés de financement. En 2005, la Mission de maintien de la paix au Liberia (MINUL) avait uniquement reçu 38 % des 137 millions de dollars demandés l’année précédente. L’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan a alors déclaré que la paix qui régnait au Liberia pourrait ne pas durer si « le soutien financier promis par la communauté internationale ne se concrétisait pas », Organisation des Nations unies, Communiqué, « Un calme qui pourrait être précaire faute de financement nécessaire », 15 septembre 2004, document disponible en ligne sur : ONU, http://www.un.org/apps/newsFr/storyFAr.asp ?NewsID=8957&Cr=Lib%E9ria&Cr1=Rapport, page consultée le 28 juin 2015. Lors de la Conférence des bailleurs de fonds pour le Soudan qui s’est tenue en 2005, Kofi Annan demanda encore une fois aux gouvernements de respecter les engagements financiers qu’ils avaient initialement annoncés. Il exhorta alors les pays donateurs « à combler […] le déficit de financement pour 2005, en prenant des engagements fermes et en versant des fonds, et non pas seulement en annonçant des contributions qui ne seraient peut-être pas honorées avant qu’il ne soit trop tard pour sauver des vies humaines ». Voir dans ce sens, Organisation des Nations unies, Communiqué SG/SM/9812, « Kofi Annan exhorte les bailleurs de fonds à combler le déficit de financement pour 2005 en versant 2,6 milliards de dollars pour le Soudan » (11 avril 2005), document consultable en ligne sur : http://www.un.org/News/fr‑press/docs/2005/SGSM9812.doc.htm, page visitée le 28 juin 2015.
[150] Nous le disons ainsi dans la mesure où, très souvent les gouvernements et la communauté internationale ont tendance à privilégier les ressources visant à consolider les accords de paix, les processus juridiques et politiques connexes tels que les élections, la restauration de l’État de droit ainsi que la transition sécuritaire à travers le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants comme nous l’avons vu plus haut. Même si de telles activités peuvent paraître cruciales, rien ne justifie que celles-ci soient pour autant privilégiées au détriment de la réhabilitation et de la reconstruction, qui elles reçoivent très peu d’attention en raison de fonds limités. On se trouve donc là face à une certaine incongruité de la pratique internationale dans les opérations de consolidation de la paix.
[151] Voir Résolution du Conseil de sécurité créant la Commission de consolidation de la paix, Doc. NU S/RES/1645, 20 décembre 2005. Voir également Résolution de l’Assemblée générale créant la Commission de consolidation de la paix, Doc. NU A/RES/60/180, 20 décembre 2005.
[152] Voir Loescher (G.) et al., Protracted Refugee Situations and the Regional Dynamics of Peacebuilding, Conflict, Security and Development, vol. 7, n° 3, 2007, p. 491-501.
[153] Il faut tout de même souligner les faiblesses potentielles de ce nouvel organe, au premier rang desquelles, son manque absolu d’autonomie dans son action. En pratique, politiquement et financièrement, la CCP reste limitée par sa nature consultative, sa dépendance vis-à-vis de l’agenda politique et financier des États et par la nécessité de pouvoir compter sur la coopération et le consentement entiers de l’État concerné par sa mission. Pour plus de détails sur ces lacunes de la CCP, voir Azar (R.), La Commission de consolidation de la paix des Nations unies : Premier bilan, in Guillaume Devin, Faire la paix, Presse de Sciences Po, 2009, p. 135-148.
[154] En pratique, la résolution réussie des conflits en Afrique s’avère plus insaisissable qu’elle n’y paraît (voir sur ce point, Licklider (R.), « The Consequences of Negotiated Settlements in Civils Wars 1945-93 » in American Political Science Review, vol. 89, n° 3, 1995, p. 681-690). La Banque mondiale estime, pour sa part, qu’il y a 50% de chances qu’un processus de paix échoue, et que la probabilité en est plus grande lorsque des ressources naturelles sont impliquées (« World Bank Study Says 50-50 Chance of Failure » in The Washington Post, 26 novembre 2002). Les Nations unies estiment quant à elles qu’en Afrique le taux d’échec pourrait s’élever jusqu’à 60 %, voir Groupe de travail UNDG/ECHA, Report on Transition Issues, op. cit., p. 14.
[155] Voir Conseil exécutif de l’UA, 9e session ordinaire tenue à Banjul (Gambie) du 25 juin au 29 juillet 2006 (DOC.EX.CL/274 (IX)).
[156] Ces cinq piliers sont constitués par : la sécurité ; la transition et la gouvernance politique ; les droits de l’homme, la justice et la réconciliation ; l’assistance humanitaire, la reconstruction et le développement socio-économique, ainsi que la mobilisation de ressources. Voir dans ce sens, NEPAD, Cadre politique de reconstruction post-conflit en Afrique, op. cit., p. 6-13.
[157] Idem, p. 12.
[158] Voir Conseil exécutif de l’UA, 20e session ordinaire du 23 au 27 janvier 2012, Rapport de la Commission sur la création d’un centre de l’Union africaine pour la reconstruction et le développement post-conflit, (DOC.EX.CL/711 (XX)), p. 2 (p. 1-7).
[159] À ce jour et dans le droit fil du partenariat forgé avec l’Union africaine et le NEPAD, La Commission de consolidation de la paix a poursuivi les contacts avec six pays africains à son ordre du jour (Burundi, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, République centrafricaine et Sierra Leone). En juin 2012, le Fonds pour la consolidation de la paix avait alloué 292 millions de dollars à 16 pays africains depuis sa création, dont 77,5 millions alloués à 10 pays africains pour la seule année 2011. Voir sur ce point, Rapport du Secrétaire général, Les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique, 27 juillet 2012 (A/67/205), p. 6 (19 p).
[160] On pense ici à la Banque africaine de développement, aux institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international) et à tous les autres partenaires au développement de l’Afrique qui devraient être plus engagés à assumer leurs responsabilités. Le Cadre des États Fragiles et la Facilité des États Fragiles récemment adoptés par la BAD dans le cadre de son programme d’ADF‑11 constituent un début bien accueilli. Mais beaucoup reste encore à faire. Rappelant les raisons de la création de la BAD ainsi que de la Banque mondiale (ou comme on l’appelait — la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement), ces institutions peuvent et devraient jouer un rôle plus puissant dans la reconstruction des États africains émergeant de conflit, comme ce fut le cas avec le Japon et l’Europe après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme il est prévu dans le Cadre Politique de l’UA sur la Reconstruction et le développement post‑conflit, les membres de l’Union africaine doivent prendre les devants pour accompagner et soutenir activement les efforts de recouvrement et de reconstruction des pays en transition post‑conflit.
[161] La Conférence mondiale sur les droits de l’homme de Vienne de 1993 a adopté une Déclaration et un Programme d’action demandant à l’ONU d’intensifier la lutte contre l’impunité. Louis Joinet a été désigné en qualité de Rapporteur spécial sur la question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme. Son rapport énonce quarante « Principes pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité », fondés sur quatre droits fondamentaux qui appartiennent aux victimes : le droit de savoir, le droit à la justice, le droit à réparation, le droit aux garanties de non-répétition et aux réformes institutionnelles (voir Joinet (L.), « Question de l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme civils et politiques », Rapport final en application de la décision 1996/119 de la Sous-Commission, Nations unies, E/CN.4/Sub.2/1997/20 et E/CN.4/SUB.2/1997/20/REV. 1). Ces quatre principes ont été adoptés par la Commission des droits de l’homme des Nations unies en 1997 et confirmés par Diane Orentlicher, qui a actualisé le rapport en 2005. Ils ont été systématisés comme « piliers », concepts de fond ou principes fondamentaux de la justice transitionnelle. Sur ce dernier point, voir Orentlicher (D.), Rapport de l’experte indépendante chargée de mettre à jour l’ensemble de principes pour la lutte contre l’impunité, Nations unies, E/CN.4/2005/102/Add. 1. Voir également, Conseil économique et social des Nations unies, Commission des droits de l’homme, Ensemble de principes actualisé pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité, 61e session, 8 février 2005.
[162] Voir Desportes (F.) et Le Gunehec (F.), « Le nouveau droit pénal », tome 1, Droit pénal général, Paris, Economica, 7e édition, 2000, p. 23 (822 p).
[163] Ainsi, conformément à l’article 79 du Statut de la Cour pénale internationale du 1er juillet 2002, la première session de l’Assemblée des États parties de septembre 2002 a instauré le Fond d’affectation spéciale au profit des victimes de crimes justiciables devant cette juridiction, voir : ICC-ASP/1/3-Rés. 6.
[164] Conseil de sécurité des Nations unies, résolution 827 du 25 mai 1993.
[165] Idem, résolution 955 du 8 novembre 1994.
[166] Pour une analyse d’ensemble des perspectives soulevées par le développement du droit international pénal, voir Ascensio (H.), Decaux (E.) et Pellet (A.) (dir.), Droit international pénal, Paris, Pedone, 2000, 1053 p.
[167] Voir sur ce point, Philippe (X.), « Les Nations unies et la justice transitionnelle : bilan et perspectives », in L’Observateur des Nations unies, 2006, p. 169-191.
[168] Hayner (P.), Truth Commissions, in The Encyclopedia of Genocide and Crime against Humanity, Macmillan Reference USA, 2004, vol. 3, p. 1045-1047.
[169] Schabas (W.), « Truth Commissions, Accountability and the International Criminal Court », in Willem (J. M.), Michael (P.), Sasha (E.) (Eds), Criminal jurisdiction 100 years after the 1907 Hague Peace Conference, Cambridge university press, 2009, p. 114 (p. 126‑137).
[170] Jacquier (C.), La protection des enfants soldats par le droit international, Thèse de doctorat, Université Paul‑Cézanne (Aix‑Marseille), 2006, p. 190 (758 p).
[171] Schabas (W.), « Truth Commissions, Accountability and the International Criminal Court », op. cit., p. 114. Voir également HCDH, Les instruments de l’État de droit dans les sociétés sortant d’un conflit : les commissions de vérité, New York et Genève, 2006, p. 17‑26.
[172] Freeman (M.) et Marotine (D.), Qu’est‑ce que la justice transitionnelle ?, Centre international pour la justice transitionnelle, novembre 2007, 17 p. Voir également, www.crisisgroup.org : « Sierra Leone’s Truth and Reconciliation Commission : A Fresh start ? », consulté le 8 novembre 2014.
[173] IDEA, La réconciliation après un conflit violent : un manuel, Stockholm, 2003, p. 20 (33 p). L’International Institute for Democracy and Electoral Assistance est une ONG basée en Suède qui apporte son expertise dans les domaines suivants : Démocratie et Développement, processus électoral, partis politiques et participations.
[174] Idem.
[175] Conseil économique et social des Nations unies, Commission des droits de l’homme, Ensemble de principes actualisé pour la protection et la promotion des droits de l’homme par la lutte contre l’impunité, 61e session, 8 février 2005.
[176] Safjan (M.), « Justice transitionnelle : l’exemple polonais, le cas de la Lustration », in European Journal of Legal Studies (EJLS), n° 2, vol. 1, 2007, p. 8, document en ligne sur : http://www.ejls.eu/2/29FR.pdf, page visitée le 6 novembre 2013.
[177] Le terme « Amnistie » vient du grec « amnênia » qui a donné amnésie, qui signifie elle‑même perte totale de la mémoire. Le terme renvoie indifféremment à l’idée d’un oubli volontaire ou involontaire, voir dans ce sens, Koudou (B.), Amnistie et impunité des crimes internationaux, Droits‑fondamentaux, n° 4, janvier‑décembre 2004, p. 67 (p. 67‑95). Article disponible en ligne sur : http://www.droits‑fondamentaux.org/IMG/pdf/df4gbkaici.pdf, page visitée le 6 novembre 2014.
[178] Ibid., p. 67.
[179] Celle-ci est, du reste, contenue explicitement dans cette définition donnée par le Vocabulaire juridique et selon laquelle l’amnistie est une « mesure qui ôte rétroactivement à certains faits commis à une période déterminée leur caractère délictueux (ces faits étant réputés avoir été licites, mais non pas ne pas avoir eu lieu) […] », voir Cornu (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 1ère édition « Quadrige », PUF, Paris, 2000, p. 53 (925 p).
[180] Voir Della Morte (G.), La prescription en droit international : vers l’imprescriptibilité de certains crimes ? In Ruiz Fabri (H.), Lambert Abdelgawad (E.), Matin-Chenut (K.) (dir.), La clémence saisie par le droit. Amnistie, grâce, prescription en droit international et comparé, Paris, Société de législation comparée, Coll. De l’UMR de droit comparé, vol. 14, 2007, p. 101-161.
[181] Cf., Aroua (A.), Quelques expériences d’amnistie à méditer, Hoggar, 2005, p. 11 (47 p).
[182] Voir Bull (C.), « Amnesty », Commission for Reception, Truth and Reconciliation in Timor, novembre 2001, in http://www.easttimor‑reconciliation.org/Amnesty‑E.htm, page consultée le 7 novembre 2014.
[183] D’argent (P.), « Réconciliation, impunité, amnistie : quel droit pour quel mot ? », in La Revue nouvelle, n° 11, novembre 2003, p. 31 (p. 30‑35).
[184] Voir Séminaire régional organisé conjointement par le parlement burundais, l’Union interparlementaire et International Institute for Democraty and Electoral assistance (IDEA), « Le rôle que jouent les parlements dans les processus de réconciliation nationale en Afrique », Union interparlementaire, 2007,p. 15 (p. 3‑87).
[185] Voir Tutu (D.), Il n’y apas d’avenir sans pardon, Paris Albin Michel, mai 2000 (traduction française), 284 p.
[186] La Commission vérité et réconciliation de l’Afrique du Sud, établie en 1995, avait le pouvoir d’accorder l’amnistie sur la base de requêtes individuelles, aux « personnes qui confesseraient tous les détails de faits relevant d’actes associés à un objectif politique ». Cette disposition issue des Chapitres 2 et 3 (1, b) du « Promotion of National Unity and Reconciliation Act », était en phase avec une clause de la Constitution intérimaire qui autorisait de telles amnisties conditionnelles, afin de faire progresser la « réconciliation et la reconstruction ».
[187] Voir dans ce sens, Conseil international pour l’étude des droits humains, Négocier la justice ? Droits humains et accords de paix, Versoix, Suisse, 2007, p. 108 (193 p).
[188] L’approche de l’impunité retenue par El Hadji Guisse nous semble plus complète dans le cadre de cette analyse. Pour lui, l’impunité est « l’absence ou l’insuffisance de sanctions répressives et réparatrices de violations volontaires ou involontaires des droits et libertés de l’individu ». Voir dans ce sens, Guissé (E. H.), « Le procès équitable », in Rencontres internationales sur l’impunité des auteurs de violations graves des droits de l’homme, organisées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et la Commission internationale des Juristes (CIJ) sous les auspices des Nations unies (du 2 au 5 novembre 1992), Palais des Nations, Genève, p. 172, cité par Youssef (N.), La transition démocratique et la garantie des droits fondamentaux, Publibook 2011, Paris, p. 463 (735 p).
[189] Du moins, on peut déjà parler d’une certaine opinio juris, selon le professeur Antonio Cassese. Voir Cassese (A.), International Criminal Law, Oxford University Press, 2003, p. 315 (472 p). Voir également Henckaerts (J.‑M.), « Étude sur le droit international humanitaire coutumier : une contribution à la compréhension et au respect du droit des conflits armés », RICR, n° 857, mars 2005, p. 175‑212.
[190] Voir ONU, The rules of law and transitional justice in conflict and post‑conflict societies, op. cit., para. 40 et 64, citée par Odoukpe (V.), Réflexion sur la justice transitionnelle, Mémoire de DEA droit public, Université catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO), Abidjan (Côte d’Ivoire), 2009, p. 52 et suivants.
[191] Voir Mottet (C.) et Pout (C.) (Éds), La justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation et une paix durable, Conference Paper 1/2011, Dealing with the Past — Series, DFAE, Berne, 2011. Document disponible en ligne sur : http://www.ohchr.org/Documents/Countries/Africa/ActesConf2JusticeTransit.pdf, page consultée le 7 novembre 2014.
[192] Odoukpe (V.), Réflexion sur la justice transitionnelle, op. cit., p. 82 et suivants.
[193] Bole (W.), Christiansen (D.), Hennemeyer (R.), Le pardon en politique internationale : Un autre chemin vers la paix, Nouveaux Horizons, 2007, p. 96 (212 p).
[194] Cité dans Woodstock Theological Center, Forgiveness in Conflict Resolution: Reality and Utility‑The Experiences of the Truth Commission, Georgetown University, 1998, p. 102.
[195] Koudou (B.), Amnistie et impunité des crimes internationaux, op. cit., p. 70.
[196] Au total, la lutte contre l’impunité est l’une des grandes ambitions politiques et humanitaires du millénaire en cours. Si cette lutte revêt par excellence une dimension politique, elle comporte également des dimensions morale et juridique. À cet égard, William Bourdon et Emmanuel Duverger pensent que « l’essence même des crimes de nature internationale qui sont dans bien des cas des crimes imprescriptibles, c’est précisément de générer une souffrance imprescriptible et par conséquent un besoin de justice qui ne tarit jamais et qui, à un moment ou un autre, resurgit nécessairement ». Voir dans ce sens, Bourdon (W.) et Duverger (E.), La Cour pénale internationale, Paris, Le Seuil, 2000, p. 308 (369 p).
[197] Voir UN doc. S/1998/318, 16 avril 1998.
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