Charlotte Touzot, Écocrimes et écocide : les enjeux de la criminalisation des atteintes portées à l’environnement
Écocrimes et écocide : les enjeux de la criminalisation des atteintes portées à l’environnement
Charlotte TOUZOT, Doctorante en droit public spécialisée en droit de l’environnement, CRIDEAU-OMIJ, Université de Limoges
Le droit n’est pas indifférent à l’intensification de la dégradation de l’environnement et ce quelles que soient les circonstances, en temps de paix comme en temps de guerre. Le droit reconnaît ainsi l’intérêt et la nécessité de protéger l’environnement ; prévoit la mise en œuvre d’instruments et de mécanismes juridiques encadrant cette protection et dispose de certains moyens pour sanctionner la dégradation ou la destruction des éléments qui composent alors l’environnement, tels que par exemple la biodiversité, les ressources naturelles ou encore les sols et les sous-sols. Le droit est cependant allé au-delà de la simple reconnaissance en proposant de criminaliser les atteintes portées à l’environnement lorsque celles-ci répondent à un certain nombre de critères.
En temps de conflits armés par exemple, la dégradation de l’environnement a pu être reconnue comme crime de guerre, les conflits contemporains étant effectivement « fauteur[s] de crimes écologiques »[1]. Le Statut de la Cour pénale internationale (CPI), adopté en 1998 à Rome, a été le premier instrument international à avoir reconnu et qualifié les dommages causés à l’environnement comme crime de guerre dans son article 8, §2, b), lequel dispose ainsi qu’est considéré comme un crime de guerre « le fait de diriger intentionnellement une attaque sachant qu’elle causerait incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ».
Outre le droit de l’environnement et le droit des conflits armés, le droit pénal s’est aussi intéressé à la question de la sanction et de la mise en œuvre de la responsabilité du fait d’une atteinte portée à l’environnement. C’est précisément l’objet de l’ouvrage dirigé par Laurent NEYRET, Des écocrimes à l’écocide – Le droit pénal au secours de l’environnement[2], paru en février 2015 et sur lequel va porter le présent travail.
Les notions d’écocrimes et d’écocide, décryptage
La rationalisation du système pénal de protection de l’environnement devrait inévitablement passer par des critères d’incrimination environnementaux déterminants. Il s’agit de critères de proportionnalité qui permettraient d’instaurer une échelle de gravité des atteintes portées à l’environnement[3].
Les auteurs de l’ouvrage dont il est fait mention proposent ainsi de combiner pour ce faire la nature de différents éléments tels que la nature de la valeur protégée, du comportement de l’auteur, de l’atteinte et de la faute ; autrement dit, autant de critères pouvant potentiellement mesurer le degré de responsabilité adéquat en fonction de la gravité de l’atteinte portée à l’environnement. Cette mise en balance combinée a vocation à dégager une typologie des infractions environnementales ainsi qu’une typologie de leur régime.
Distinguons brièvement les écocrimes de l’écocide avant d’en proposer une définition. Les écocrimes seraient, selon les auteurs de l’ouvrage, des crimes environnementaux « quotidiens » tandis que l’écocide serait déclaré à l’occasion de crimes environnementaux « exceptionnels », tant du point de vue de leur nature que d’un point de vue temporel, ou plus exactement du point de vue de la fréquence de leur survenance.
Il conviendrait de compléter cette distinction en ajoutant un critère qui justifierait le glissement d’un crime environnemental de l’écocrime à l’écocide ; il s’agit de l’irréversibilité du dommage. Prendre en compte le caractère irréversible d’un dommage causé à l’environnement pour pouvoir le qualifier d’écocide et donc de mettre en œuvre la responsabilité qui accompagne cette nouvelle catégorie, symboliserait une prise en compte objective, réelle et adaptée de la dégradation de l’environnement et ce indépendamment des caractéristiques afférentes à son auteur (intention, circonstances atténuantes, etc.). La circonstance de guerre pourrait également s’ajouter à ce critère d’identification d’un crime en écocide dans la mesure où l’environnement est souvent utilisé comme arme de guerre à l’occasion d’un conflit armé, et qu’en tant que telle, son utilisation et sa destruction sont constitutives de crimes à double titre : humain et environnemental.
Par ailleurs, des sous-catégories, qui correspondent à la typologie des infractions de droit pénal classique, existent au sein même des écocrimes et il peut être de surcroît proposé une certaine homogénéisation[4] du droit des écocrimes pour être à la hauteur des enjeux environnementaux.
Les auteurs du présent ouvrage proposent également une distinction entre écocrime et écocide tenant à l’objet de la protection sous-jacente à ces deux catégories. En ce sens, « si la catégorie des écocrimes est vaste et plurielle en ce qu’elle a trait à des biens juridiques protégés de différentes natures, la catégorie de l’écocide, elle, ne peut être qu’étroite et unique en ce qu’elle vise à protéger une valeur globale, dans le prolongement de la protection de la dignité humaine par la notion de crime contre l’humanité »[5].
« Des écocrimes à l’écocide – Le droit pénal au secours de l’environnement », une approche globale
Cet ouvrage permet de rendre compte de l’ensemble des enjeux juridiques mais aussi sociétaux qui gravitent autour du phénomène de criminalisation de l’environnement et du danger qui se rapporte à l’écocrime et à l’écocide. La vocation de cet ouvrage est principalement de s’interroger sur les moyens dont dispose le droit pénal pour appréhender les enjeux environnementaux. Pour ce faire, les auteurs ne se contentent pas de dresser un état des lieux de cette appréhension, laquelle est bien évidemment nécessaire dans un premier temps, mais dépassent cette approche en proposant des solutions pour combler les faiblesses voire les vides qui perdurent en la matière. Ainsi, l’ouvrage contient deux projets de conventions internationales, d’un côté un Projet de Convention contre la criminalité environnementale (Convention Ecocrimes) et d’un autre, un Projet de Convention contre l’écocide (Convention Ecocide) ; lesquels sont suivis par la synthèse de 35 propositions « pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement ». Deux axes de recherches se dégagent de cette dernière synthèse : une « rationalisation de la protection de l’environnement par le droit pénal » et « une adaptation du droit pénal aux spécificités de la criminalité environnementale ». Ces deux axes sont interdépendants et permettent de mesurer l’appréhension par le droit pénal des atteintes portées à l’environnement et la capacité de ce droit à répondre aux enjeux environnementaux, tout en offrant aux lecteurs une étude complète et intéressante.
[1] R. CANS, in le journal Le Monde, Mercredi 30 janvier 1991, « La guerre, fauteur de crimes écologiques ».
[2] L. NEYRET (dir.), Des écocrimes à l’écocide – Le droit pénal au secours de l’environnement, éditions Bruylant, Bruxelles, février 2015, 465 p.
[3] A voir sur ce point et pour l’ensemble de ce paragraphe, L. NEYRET (dir.), op. cit., pp. 331-358.
[4] Pour ne pas réemployer le terme de « simplification » de l’ouvrage (p. 377) qui ne nous paraît pas adéquat, le droit de l’environnement étant lui-même victime d’une simplification inappropriée reflétant la mauvaise utilisation du terme « simplification ».
[5] Ibid., p. 336.
Photo : Defoliant spray run, part of Operation Ranch Hand, during the Vietnam War by UC-123B Provider aircraft, U. S. Air Force.
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