Emeline Broussard, Compte-rendu du colloque « Daesh et le droit »
Compte-rendu du colloque « Daesh et le droit »
Emeline Broussard, Doctorante en droit public, OMIJ, Université de Limoges
Le lundi 11 janvier 2016, à Meudon (site du CNRS), s’est tenu le colloque intitulé « Daesh et le droit »[1], organisé par Farah Safi et Arnaud Casado[2], avec le soutien de l’Institut de Criminologie et de droit pénal de l’université Panthéon-Assas (Paris 2) et l’IEJ Jean Domat (université Panthéon-Sorbonne, Paris 1). Malgré un contexte particulièrement délicat en raison des attentats, le CNRS a apporté son soutien intellectuel et logistique à la tenue de cette manifestation.
Dans ses propos introductif, Philippe Bouty, Président de l’université Panthéon-Sorbonne, a rappelé la nécessité d’avoir « une réflexion juridique en temps d’incertitudes et de terreur ». Pour faire écho à ces propos, Guillaume Leyte, Président de l’université Paris II Panthéon-Assas, a évoqué la place importante du monde universitaire, en tant que lieu de débat des questions sensibles. C’est parce que le droit « répond », « qualifie les faits », « définit une éthique » et « propose les fondements d’une action », que la question de Daesh[3] a ainsi rassemblé de nombreux juristes, dont Olivier Corten, Didier Rebut, François Saint-Bonnet ou Yann Kerbrat, entre autres, mais aussi des chercheurs, tel que l’islamologue Ghaleb Bencheikh.
La première partie de la journée du colloque était consacrée à la qualification juridique de Daesh ; l’après-midi à la réaction juridique face à Daesh. La qualification d’État revendiquée par Daesh, l’avènement d’une nouvelle forme de conflictualité mêlant conquêtes armées et criminalité transfrontalière, l’éventuelle mise en œuvre de la responsabilité du groupe « État islamique » et les problèmes posés par la multiplication des règles dérogatoires liées au terrorisme, ont été au cœur des interventions.
I. La qualification juridique de Daesh
La première partie du colloque, placée sous la présidence du Professeur Christine Lazerges[4], s’est attachée à la qualification juridique de Daesh.
Table ronde n° 1[5] : La qualification de la structure
Daesh et les catégories juridiques modernes
Le Professeur Saint-Bonnet[6] a ouvert le colloque, en s’interrogeant sur la place de Daesh au regard des catégories juridiques modernes. Daesh est un phénomène nouveau, mais rappelle par certains aspects et procédés, des pratiques déjà connues. D’après lui, Daesh emprunte au passé tout en renvoyant à une forme de post-modernité. En procédant à une analyse détaillée du fonctionnement de Daesh, il signale que c’est en particulier au Moyen-Âge, que l’on prête allégeance, à l’image de l’acte d’engagement des combattants islamiques. Comme sur le territoire du califat autoproclamé, il existait une confusion entre la sphère politique et spirituelle. Dans le système « Daesh », la religion est omniprésente, si bien que la mort n’est pas conçue comme quelque chose d’effrayant, mais comme la promesse d’une autre vie, dans l’au-delà. Dans le système mis en place par Daesh, il n’existe pas non plus de nation, telle qu’envisagé au XIXème siècle. L’organisation occupe, en effet, le territoire de deux États, la Syrie et l’Irak, sans accorder d’importance à la nationalité de leurs habitants et en ne se focalisant que sur une summa diviso « croyants-mécréants ». Le Professeur Saint-Bonnet fait remarquer que ce retour vers le passé est mis en avant dans les communications de l’organisation. Il y a une volonté de renouer avec des périodes correspondant à l’apogée de l’Islam, en niant les temps pré-islamiques. Dans le même temps, il y a un paradoxe, entre cette volonté affichée de rejeter la modernité et le recours, régulier, aux nouvelles technologies, notamment en matière de recrutement des combattants. La politique menée par Daesh défie ainsi les logiques jusqu’ici établies.
Daesh du point de vue de l’Islam
La seconde intervention, celle de l’islamologue Ghaleb Bencheikh[7], ne portait pas sur l’une des problématiques juridiques liées à Daesh, mais sur la place de l’organisation au regard de l’Islam. Une question d’autant plus pertinente, à l’heure de la montée des extrémismes qui profitent des amalgames. Pour Ghaleb Bencheikh, il faut « comprendre et expliquer », reconnaître que l’Islam est lié à Daesh, mais nuancer en rappelant que l’organisation ne s’est attachée qu’aux textes liés au domaine touchant à la guerre, délaissant les valeurs de l’Islam, en premier lieu l’Amour. Selon lui, Daesh tend un « piège idéologique », à la fois en appliquant avec rigueur « des versets talioniques » très minoritaires au sein du Coran et en tenant pour actuelle « une prophétie apocalyptique » selon laquelle le bien et le mal seraient appelés à se combattre. Il conclut que pour lutter contre Daesh, il est nécessaire de renouer avec la tradition philosophique musulmane, porteuse de valeurs humanistes et de cesser de revendiquer « la raison religieuse » pour commettre les pires atrocités.
Daesh, organisation terroriste ou État ?
Doit-on parler de Daesh, d’organisation État islamique ou d’État islamique ? Cette problématique renvoie à de nombreux débats sur qu’est-ce qu’un État ? Qu’est-ce que le terrorisme ? Pour les partisans du groupe, Daesh est un État, mais qu’en est-il du point de vue international ? Le Professeur Corten[8] a opposé la conception classique de l’État à l’organisation islamiste. À titre de rappel, il mentionne que l’État est constitué de trois éléments : un territoire, une population et un gouvernement. Or, Daesh, de manière précaire, se situe à la fois sur le territoire syrien et sur le territoire irakien, et a soumis à son contrôle des populations très hétérogènes (irakiens, kurdes, syriens…). Quant à son gouvernement, Daesh se revendique comme étant un califat et dispose d’une administration propre, qui frappe sa propre monnaie, tire profit de taxes et impositions de toutes sortes, délivre des passeports et des permis de conduire ou encore a mis en place et gère son propre système de santé. Se pose alors la question de la reconnaissance de Daesh en tant qu’État et ses conséquences. La déclaration de reconnaissance par d’autres États n’est pas un critère pertinent, puisqu’à l’exemple du Kosovo, des États peuvent être reconnus par la majorité des États dans le monde et rejetés par d’autres. La question n’est alors pas tant la légitimité mais la légalité de l’organisation. Olivier Corten insiste sur le contexte de création de l’« État islamique », lequel est apparu en violation du droit international et sans mise en œuvre du droit à l’autodétermination. Enfin, l’importance que revêt la qualification d’État est étroitement liée au concept de souveraineté, qui impliquerait que Daesh puisse se prévaloir des instruments internationaux, notamment des dispositions portant sur le recours à la force armée dans les relations internationales. La conception classique de l’État se retrouve donc dépassée face à ce phénomène nouveau, qui emprunte à la fois aux éléments constitutifs de l’État et aux caractères d’une organisation criminelle transfrontalière.
Table ronde n° 2[9] : La qualification des populations
Les sujets de Daesh : combattants et civils
Anne-Laure Vaurs-Chaumette[10] a choisi d’aborder la question des combattants et des civils vivant sur les territoires contrôlés par Daesh du point de vue de l’ordre juridique établi par l’organisation terroriste elle-même. Un ordre, qui, selon elle, conduit à l’assujettissement des individus. Du point de vue des civils, c’est-à-dire des non-guerriers, Daesh a mis en place une politique d’unification des populations vivant sur les territoires conquis. Les membres de Daesh ne peuvent être que sunnites ; les minorités ethniques ou religieuses, Yézidis, Chiites ou encore Chrétiens d’Orient, n’ont aucune liberté, ils n’ont d’autre choix que de combattre Daesh, être exécutés ou fuir. Sous le régime de Daesh, il n’est même plus question de nationalités, syrienne ou irakienne. Les choses vont même plus loin, puisque d’une part, de nombreux combattants viennent de pays tiers, et d’autres part, parce que des civils, ressortissants de n’importe quel État à travers le monde peuvent prêter allégeance à l’organisation, sans avoir à rejoindre physiquement le « califat ». Anne-Laure Vaurs-Chaumette parle ainsi de « transnationalité », où le concept de nationalité est nié au profit de la religiosité de l’individu. Comme il est difficile de faire la distinction entre civils et combattants, la solution trouvée est de qualifier Daesh d’organisation terroriste. Les combattants sont issus des territoires conquis, d’autres sont des ressortissants étrangers venus grossir les rangs. Bien qu’ils puissent tirer des avantages à rejoindre Daesh, ils ne peuvent être assimilés à des mercenaires en ce qu’ils ont l’obligation de résider sur le territoire de « l’EI[11] » et en ce qu’ils abandonnent leur nationalité d’origine. À l’image du Professeur Saint-Bonnet, elle rappelle que tous ces combattants ont fait allégeance au groupe islamiste et sont soumis à ses règles. Anne-Laure Vaurs-Chaumette conclut sur les « aspects totalisants » du système mis en place par Daesh, et ce, à tous les niveaux. Cela passe par de l’endoctrinement via l’éducation, l’information, la formation militaire obligatoire dispensée aux enfants dès l’âge de trois ans et par la mise en place de contrôles divers auxquels sont soumis les populations des territoires contrôlés. Il n’y a pas de processus démocratique dans la désignation des représentants de l’organisation ; les individus ne sont plus citoyens, mais simples sujets.
Le statut des migrants : l’exemple de Calais
Christine Lazerges, qui préside la Commission Consultative des droits de l’Homme, a conclu cette matinée avec une intervention portant sur le statut des migrants. La thématique paraissait hors-sujet, mais comme l’a fait remarquer elle-même le Professeur Lazerges, « Daesh est le principal responsable de la fuite de civils » venus de Syrie et d’Irak. La situation politique et humanitaire dans les territoires conquis par Daesh a conduit des milliers de civils sur les routes de l’exode, tout d’abord vers les pays voisins des théâtres de conflits, puis vers l’Union européenne. La situation de crise que connaît la ville de Calais, submergée par un afflux conséquent et régulier de migrants, rappelle à quel point la question du statut des réfugiés, celle de leur accueil dans des conditions décentes et humaines, et la question du devenir de ces populations sont des problématiques qui nécessitent une solution durable.
II. La réaction juridique à Daesh
Placée sous la présidence du Professeur Patrick Maistre du Chambon[12], la seconde partie du colloque sur « Daesh et le droit » portait sur la réaction juridique à Daesh. Il a notamment été question de la réponse pénale face à Daesh, au niveau national et international, mais aussi de l’éventuelle mise en cause de la responsabilité de Daesh. Les mesures dérogatoires prises par le gouvernement de Manuel Valls, via l’établissement et la prolongation de l’état d’urgence suite aux attentats-suicides du 13 novembre 2015 ont logiquement été au cœur des discussions.
Table ronde n° 3[13] : La réaction de la France à Daesh
L’évolution des incriminations face à Daesh
Farah Safi[14] a fait remarquer que le droit pénal est devenu « l’outil de la lutte anti-terroriste ». Qu’il s’agisse de la prévention comme de la répression, le terrorisme fait l’objet d’incriminations spécifiques, lesquelles n’ont eu de cesse de se multiplier ces dernières années. Elle rappelle que le droit pénal doit être utilisé avec modération, en « dernier recours », car il est notamment la garantie contre l’arbitraire. Or, elle observe, que face à la multiplication des actes terroristes, le droit pénal s’est spécialisé, littéralement focalisé sur le terrorisme, et ce, alors qu’il n’existe pas de définition univoque de cette forme de criminalité, tant au plan interne qu’international. Le Code pénal français ne donne ainsi aucune définition du terrorisme et se contente de lister les actes pouvant entrer dans cette catégorie. À titre d’exemple, bien qu’il existe déjà des textes condamnant les faits d’apologie, des dispositions spécifiques faisant explicitement référence au terrorisme sont venues les compléter. Parfois, de nouvelles dispositions sont venues agrandir le panel répressif, en sanctionnant des comportements ou des actes relevant du champ des interdictions administratives. Face à la multiplication des incriminations et à cette spécialisation du droit pénal, le risque serait donc de voir apparaître des doublons. Selon Farah Safi, il serait certainement plus judicieux de faire du terrorisme une circonstance aggravante, sans qu’il y ait ainsi besoin de modifier des incriminations qui se suffisent déjà à elles-mêmes.
L’élargissement des mesures spéciales et dérogatoires face à Daesh
Le Professeur Cédric Ribeyre[15] s’est intéressé à l’élargissement des mesures spéciales et dérogatoires depuis l’avènement du phénomène Daesh, avec notamment la mise en place de l’état d’urgence suite aux attentats de novembre 2015. Il signale que, de manière générale, les mesures dérogatoires poursuivent plusieurs objectifs ; il peut s’agir de lutte contre le terrorisme, de lutte contre la criminalité organisée ou contre les atteintes aux valeurs républicaines de la France. Il n’hésite pas à faire le rapprochement avec les lois scélérates mises en place sous la Troisième République pour étouffer les mouvements anarchiques. De nos jours, ces mesures visent à « identifier » et « prévenir ». L’identification passe par l’utilisation des nouvelles technologies, notamment des techniques de renseignement dites « intrusives », comme le traçage des terminaux ou le balisage des véhicules. La prévention passe par un volet judiciaire et administratif, à travers la question des mesures de sûreté ou des restrictions relevant de la police administrative (assignations à résidence[16], blocage des communications internet…). Le droit pénal est de plus en plus appelé à agir en amont, dès la phase préliminaire et non plus seulement dès la phase d’instruction. Enfin, une troisième problématique est celle du rôle joué par le système pénitentiaire, en matière de prévention du risque terroriste, de dé-radicalisation et du renseignement.
Quelle compétence pour les tribunaux français ?
Après avoir relevé quel est le panel répressif dont dispose le droit interne face à Daesh, la question de la compétence des tribunaux français se pose alors. Valérie Malabat[17] s’est interrogée sur les différentes compétences dont peut se prévaloir le juge français face à des actes de terrorisme. Il existe, en effet, plusieurs types de compétences : subsidiaire, réelle, universelle, passive, active… Lorsque des crimes sont commis en France, la mise en œuvre de la compétence territoriale et donc du juge français, ne pose aucune difficulté, qu’il s’agisse de juger les auteurs d’infractions, leurs complices suivant la théorie de l’accessoire ou en présence d’infractions connexes. Idem pour ce qui de la mise en œuvre de la compétence réelle, puisque les actes de terrorisme peuvent être assimilés à des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. Du point de vue des compétences personnelles, les choses sont plus complexes. Pour mettre en œuvre la compétence personnelle active[18], la nécessaire double incrimination en matière délictuelle peut constituer un obstacle, très rapidement écarté en présence d’un crime. En revanche, c’est du côté de la procédure pénale, que la compétence personnelle passive[19] posera le plus de difficultés, en ce que le juge français ne pourra être compétent que dans deux cas, si la victime ou ses ayant-droits déposent une plainte ou en présence d’une déclaration officielle de l’infraction par des autorités tierces. Enfin, la compétence universelle, bien qu’encouragée au niveau international et envisagée par le Statut de la Cour pénale internationale, demeure difficile à mettre en œuvre en raison de la dimension politique qu’elle implique.
Table ronde n° 4[20] : La réaction du monde à Daesh
La responsabilité civile de Daesh : la protection des biens culturels[21]
Avant d’aborder la question de la responsabilité pénale de Daesh, il faut envisager celle de la responsabilité civile de l’organisation islamiste en matière de protection des biens culturels. Vincent Négri[22] a rappelé que la destruction des biens culturels n’est pas un phénomène nouveau. Le sac de Rome par les Wisigoths au Vème siècle ap. J.-C., tout comme le pillage du temple de Jérusalem en 70 ap. J.-C., ou plus récemment, en 2001, en Afghanistan, le dynamitage des grands Bouddhas de Bâmiyân par le régime taliban, en sont les plus célèbres et tragiques illustrations. Daesh perpétue cette sombre tradition, en détruisant et en organisant un vaste réseau de trafic des biens culturels saisis sur les territoires irakiens et syriens. En droit international public, c’est habituellement à l’État qu’incombe la responsabilité de protéger ses biens culturels, mais lorsque celui-ci n’est plus à même de le faire, comme c’est le cas en Syrie ou en Irak, la responsabilité de l’État « se déporte (selon lui) vers une responsabilité collective ». Le patrimoine de l’État concerné devient alors le patrimoine de l’Humanité. Sur ce point, la Convention de l’UNESCO de 1954 fait référence explicitement à la notion « d’intérêt général de l’Humanité », lorsqu’elle aborde la prise en compte du patrimoine culturel des peuples. Dans le cas irako-syrien, la résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, en date du 12 févier 2015, indique que la protection des biens s’impose à tous les États et qu’ils doivent tout mettre en œuvre pour lutter contre le commerce et la destruction de biens culturels. Cette protection est d’autant plus nécessaire qu’il faut rappeler que le trafic de ces biens est l’une des principales sources de financement de l’organisation terroriste.
La responsabilité pénale de Daesh, ou de l’effectivité des tribunaux pénaux internationaux
En l’absence de toute proposition formulée par les États auprès de l’ONU d’établir un tribunal pénal international ad hoc, chargé de juger les crimes commis par Daesh, c’est évidemment devant la Cour pénale internationale que la question de la responsabilité pénale des membres du groupe terroriste se pose. Le Professeur Rebut[23] relève que les actes commis en Syrie et en Irak par Daesh, et même en Libye par des groupes se revendiquant de « l’EI », peuvent relever de la catégorie des crimes internationaux que sont les crimes de guerre[24], les crimes contre l’humanité ou le crime de génocide[25]. Ainsi, le problème de l’incompétence de la CPI en matière d’actes terroristes ne se pose plus, puisque la majeure partie des actes commis tombe dans le domaine des infractions internationales. D’emblée, Didier Rebut prévient que la mise en œuvre de la responsabilité pénale des membres de Daesh pour ces crimes au niveau international est quasi impossible. Il explique, en effet, que la Cour pénale internationale est handicapée du point de vue la compétence. Les conditions préalables à l’exercice de sa compétence ne sont pas remplies, aucun des États concernés par le conflit n’est un État-Partie au Statut de Rome. Et ni la Syrie, ni l’Irak ou bien la Libye n’ont l’intention de reconnaître la compétence de la Cour[26] et encore moins l’intention de ratifier le Statut, lequel représenterait un risque pour eux-mêmes. Quant aux modes de saisine de la CPI, ils constituent, eux aussi, des obstacles non négligeables à la répression des infractions internationales commises par les membres de l’organisation islamiste. Ni l’Irak, ni la Syrie, ne peuvent déférer la situation devant la CPI et aucun État tiers n’a, à l’heure d’aujourd’hui, souhaité le faire. L’auto-saisine du Procureur sur les questions syriennes et irakiennes est tout aussi inenvisageable puisque aucun des États concernés n’est partie au Statut. Quant à la dernière option, qui serait celle du déferrement de la situation par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, elle demeure hypothétique, puisqu’elle nécessite l’accord unanime du Conseil de Sécurité. Or, il n’est pas certain que la Russie, alliée du régime syrien, y oppose son veto. Face aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre d’une réponse pénale contre Daesh, le droit de la guerre apparaît alors comme une solution complémentaire dans la lutte contre l’impunité.
La responsabilité des États pour le financement de Daesh
Le Professeur Kerbrat[27] rappelle que le financement de Daesh, qu’il s’agisse des fonds récoltés auprès des soutiens de l’organisation islamiste, des fonds générés par les impôts auxquels sont soumises les populations, par le trafic des biens culturels et des êtres humains ou encore la production pétrolière, est un problème international[28]. La question est d’autant plus délicate que des États sont soupçonnés de participer, en sous main, au financement de l’organisation. Dans sa résolution 2199 du 12 février 2015, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a insisté sur la lutte contre le financement de Daesh, en invitant les États à prendre toutes les dispositions nécessaires pour y mettre un terme[29]. Tous les États doivent prendre des mesures pour prévenir et réprimer le financement de l’organisation terroriste depuis leur territoire vers les zones de conflit. Le gel des avoirs, l’établissement d’un contrôle par le système bancaire et les embargos (sur les armes et le pétrole) font partie de ce panel répressif. Dans le même temps, les frappes aériennes menées à l’encontre des infrastructures pétrolières contrôlées par Daesh ont sévèrement affaibli les capacités financières de l’organisation. Du point de vue de la responsabilité, le Conseil de Sécurité réaffirme que les États doivent traduire en justice tous ceux qui supportent l’organisation terroriste en participant directement ou en facilitant son financement. Dans cette finalité, il est demandé aux systèmes pénaux internes de se doter d’instruments répressifs.
[1] Les actes de ce colloque feront l’objet d’une publication aux éditions Panthéon-Assas.
[2] Arnaud Casado est maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris I Panthéon- Sorbonne.
[3] Le terme « Daesh » est le plus approprié, car le plus neutre.
[4] Christine Lazerges est Présidente de la Commission Consultative des Droits de l’Homme et Professeur de droit privé à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne.
[5] Table ronde rassemblant les Professeurs Lazerges, Saint-Bonnet et Corten, et M. Bencheikh.
[6] François Saint-Bonnet est Professeur d’histoire du droit à l’université Paris II – Panthéon-Assas.
[7] Ghaleb Bencheikh est islamologue, Président de la Conférence mondiale des religions.
[8] Olivier Corten est Professeur à l’Université Libre de Bruxelles et membre du Centre de Droit International.
[9] Table ronde rassemblant les Professeurs Corten, Saint-Bonnet, Lazerges et Mme A.-L. Vaurs-Chaumette.
[10] Anne-Laure Vaurs-Chaumette est maître de conférences en droit public à l’université Paris X Nanterre-La Défense (CEDIN).
[11] Acronyme signifiant État Islamique.
[12] Patrick Maistre du Chambon est Professeur émérite et doyen honoraire de la Faculté de droit de Grenoble.
[13] Table ronde rassemblant les Professeurs Maistre du Chambon, Ribeyre et Malabat, et Farah Safi.
[14] Farah Safi est maître de conférences en droit privé à l’université Paris II – Panthéon-Assas.
[15] Cédric Ribeyre est Professeur de droit privé et de sciences criminelles à la Faculté de Droit de Grenoble.
[16] Loi du 20 novembre 2015.
[17] Valérie Malabat est Professeur à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
[18] L’auteur de l’infraction doit nécessairement être de nationalité française.
[19] À l’inverse de la compétence personnelle active, on ne s’attache pas à la nationalité de l’auteur mais à celle de sa victime.
[20] Table ronde rassemblant les Professeurs Maistre du Chambon, Rebut, et Kerbrat et Vincent Négri.
[21] Cette intervention fait écho à la conférence donnée le 26 novembre 2015, à Limoges, par Mme Véronique Grandpierre, chercheur associée au laboratoire Identité, Territoire et Culture de l’Université Denis Diderot, Paris VII, sur le thème « Le patrimoine au cœur du conflit : la guerre et la destruction des monuments au Moyen-Orient ».
[22] Vincent Négri est chercheur associé au CNRS et expert-consultant auprès de l’UNESCO.
[23] Didier Rebut est Professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas.
[24] Les actes perpétrés par Daesh ont lieu dans un contexte de conflit armé.
[25] Il s’agit ici des persécutions et des exterminations des minorités religieuses ou ethniques organisées par Daesh.
[26] Comme les États-Unis, la Syrie n’a pas ratifié le Statut de la CPI, mais l’a simplement signé, ce qui ne fait pas d’elle un État-Partie.
[27] Yann Kerbrat est Professeur de droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.
[28] Fin 2014, on estimait que Daesh engrangeait jusqu’à 3 millions de dollars par jour.
[29] Extrait de la résolution 2199 du 12 février 2015 : « Réaffirmant sa résolution 1373 (2001), dans laquelle il a décidé en particulier que tous les États doivent prévenir et réprimer le financement des actes de terrorisme et s’abstenir d’apporter quelque forme d’appui, actif ou passif que ce soit, aux entités ou personnes impliquées dans des actes de terrorisme, notamment en réprimant le recrutement de membres de groupes terroristes et en mettant fin à l’approvisionnement en armes des terroristes ».
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