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Séminaire de l’IiRCO « Conflits, droit, mémoires » : Conférence 1 : Le patrimoine au cœur du conflit, la guerre et la destruction des monuments au Moyen-Orient

L’Institut international de recherche sur la conflictualité (IiRCO), en partenariat avec l’UTA Culture et loisirs, a organisé la première conférence du Séminaire de l’IiRCO “Conflits, droit, mémoires” :

Le patrimoine au cœur du conflit, la guerre et la destruction des monuments au Moyen-Orient

par Mme Véronique Grandpierre, chercheur associée au laboratoire ITC (Identité, Territoire et Culture) de l’Université Denis Diderot, Paris VII.

Cette conférence s’est tenue le jeudi 26 novembre 2015 à la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges.

Résumé :

Palmyre, oasis au milieu du désert syrien, a fait récemment et à plusieurs reprises la une de l’actualité. Classés au patrimoine mondial de l’humanité, ses monuments sont cependant, un à un, réduits à néant. Déjà, bien avant, l’anéantissement du minaret de la mosquée d’Alep avait mobilisé l’opinion. Ces destructions sont-elles comparables ?

En cette région, entre Tigre et Euphrate, qui s’étend sur la Syrie et l’Irak, les déserts sont très présents. Les populations se concentrent depuis des millénaires aux mêmes endroits, notamment près des côtes ou dans les vallées et les oasis. La partie ouest de la Syrie est ainsi la plus attractive avec Damas la capitale, Alep le centre économique et Homs, la troisième ville du pays, carrefour stratégique entre l’axe nord-sud (Turquie-Jordanie) et l’axe est-ouest (Irak-Méditerranée) menant à la bande côtière alaouite, soutien du régime syrien. Tout a commencé lors du « printemps arabe » par un rassemblement pacifique d’une centaine d’opposants à Damas. La contestation s’est amplifiée à partir de la mi-mars 2011, la Syrie sombrant alors dans une guerre civile. Dès le départ la contestation est composée de membres très divers tant d’un point de vue politique que religieux, aux revendications différentes et aux luttes internes nombreuses. Certaines positions stratégiques sont prises et reprises par les uns et par les autres. Ainsi la géopolitique est très complexe et se recompose parfois au fil des opérations.

           Or, les points stratégiques d’aujourd’hui sont souvent les mêmes que ceux d’hier. Le patrimoine qui s’y trouve est ainsi au cœur des zones de combats. C’est le cas de cinq des six sites classés à l’Unesco : Alep, Damas, Bosra sur l’axe nord-sud, le Krak des chevaliers dominant la trouée de Homs au croisement avec l’axe est-ouest, et plus à l’est, Palmyre dans la fonction d’oasis n’est, certes, plus primordiale aujourd’hui, mais qui est l’un des rares endroits où la route peut être bloquée. Une forteresse médiévale s’y élève sur une hauteur qui domine toute la ville antique. Les monuments permettent de dissimuler de l’armement lourd. Les combats qui s’y sont déroulés de 2011 à 2014 avaient ainsi déjà provoqués, comme tout combat, quelques dommages. Un autre exemple est celui de la ville d’Alep. Celle-ci ne s’est pas soulevée contre le régime. Elle a été en partie envahie par les troupes rebelles et les djihadistes aidés par les populations issues de l’exode rural installées dans les quartiers périphériques de l’est, et stoppées par les habitants des quartiers situés à l’ouest. Entre les deux, la vieille ville avec les plus anciens monuments (la mosquée, les souks, la citadelle…) est ainsi devenue la ligne de front. Le minaret seldjoukide (fin XIe s.), plus ancien témoignage de la mosquée des Omeyyades fondée par Al Walid au VIIIe s. sur la nef de l’église Sainte-Hélène (la mère de l’empereur Constantin), a ainsi été détruit le 24 mars 2013, chaque camp accusant l’autre d’en être responsable. L’intérieur de la mosquée des Omeyyades et de la madrasa Halawiyah qui s’élève dans son prolongement ont fait l’objet de mesures de protection mais la guerre continue et les combats se poursuivent aux mêmes endroits provoquant des dégâts irréparables.

Le patrimoine ne se restreint pas aux monuments ; les objets et les conditions dans lesquelles ils sont conservés sont aussi importants. C’est là l’enjeu des musées dans les conflits. Les objets de petite taille et de grande valeur ont été mis à l’abri dans des endroits sécurisés mais qu’en est-il de leurs conditions de stockage (hygrométrie, température…) ? Quant à ceux qui sont trop lourds pour être transportés, ils sont restés sur place. Comme les monuments, ils se retrouvent au cœur des combats. Par ailleurs, les fouilles clandestines se sont multipliées depuis le début des années 2000 et la guerre en Irak. Certains sites syriens comme Apamée sur l’Oronte sont devenus de véritables gruyères, ainsi en attestent les cartes satellites. Les objets de toutes les périodes historiques sont convoités, les acheteurs étant nombreux et variés. Pour lutter contre ce trafic, les douanes ont été renforcées, des listes rouges établies. Tous sont unanimes pour condamner ce pillage.

En revanche, depuis 2014 le patrimoine est aussi détruit au nom d’une religion. Ainsi disparaissent dans un premier temps les mausolées chiites, puis les traces d’un patrimoine plus ancien. La ville de Raqqa passée aux mains des rebelles d’Al Nostra le 6 mars 2013, est prise par Daesh/État islamique qui en fait sa capitale. Deux statues de lions (dont une reproduction), emblèmes de la ville, provenant du site archéologique d’Arslan Tash du VIIIe s. av. J.-C, près d’Alep, sont alors détruites au tractopelle le 25 avril 2014. Mais c’est la mise à bas des statues des rois hatréens du musée de Mossoul en Irak qui révèle aux yeux du grand public occidental un patrimoine dont la destruction est utilisée comme propagande, un patrimoine devenu une cible. Puis viennent, toujours en Irak, l’anéantissement de la porte de Nergal donnant accès à l’antique Ninive, de la cité abandonnée de Hatra en plein désert, du palais d’Assurnasirpal II à Nimroud et enfin, en Syrie, des monuments de l’ancienne ville de Palmyre, site archéologique et touristique qui, par sa notoriété, capte l’attention de tous. Parallèlement, le patrimoine n’est pas toujours détruit d’emblée. Il peut également servir de cadre à la propagande et cela aussi est nouveau. C’est ainsi que la scène du théâtre antique de Palmyre accueille les exécutions en masse, qu’une à une les colonnes de la rue principale sont pulvérisées en même temps que les personnes qui y sont attachées. L’impact est important. La terreur marque ainsi l’espace et le temps.

Véronique Grandpierre

(Laboratoire ICT – Paris Diderot)

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